Quelques idées fausses sur le logement social

Quelques idées fausses sur le logement social
Publié le 27 mai 2024
Devenir propriétaires ? Certains habitants des logements sociaux n’y songent pas. Par manque de ressources ou par refus de s’intégrer ? Une récente note de la Fondation pour l’innovation politique choisit la deuxième option. Décrivant des quartiers sensibles au bord de la sécession culturelle, l’auteur plaide pour mettre fin au droit au maintien dans les lieux et pour prendre en compte l’origine nationale dans l’attribution des logements sociaux.
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Dans le cadre de ses publications, La Fondation pour l’innovation politique a donné la parole en avril 2024 à « l’Observatoire de l’immigration et de la démographie » pour une note sur le logement social.

L’argumentaire développé par cette note consiste à dire que le logement social doit « redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un habitat temporaire dans un parcours résidentiel accompagné » (p. 32), qui aboutit à terme à l’accession à la propriété. Celle-ci, pour l’auteur, est synonyme d’intégration réussie (p. 23) : « l’achat d’une parcelle de France est une preuve concrète de l’attachement que l’on porte à ce pays » (p. 23), à l’image d’une partie des immigrés turcs, portugais ou de l’Asie du Sud qui choisissent de devenir propriétaires. A contrario, le maintien dans le logement social indiquerait un refus de s’intégrer, un choix de l’entre-soi communautaire et une stratégie d’investissement dans une résidence secondaire « au pays ». De là découlerait une inertie de mobilité et une concentration de la population étrangère expliquant des « désordres dont l’ampleur ne fait que croître » (p. 11), violences, émeutes urbaines, rixes entre bandes, délinquance, trafics… dans ces « citadelles du crime » (p. 26) que seraient devenus les logements sociaux. La réponse à ces difficultés se trouverait dans la mise en cause du droit au maintien dans les lieux, à la fois pour expulser les fauteurs de trouble (« un petit noyau de familles génératrices des principaux désordres » (p. 33)) et pour remettre les habitants dans le droit chemin de leur destin résidentiel de futurs petits propriétaires. La note ne dit pas plus précisément ensuite comment favoriser l’accession, ni où construire de nouvelles maisons individuelles.

Ce travail se présente comme une étude documentée, alignant des données chiffrées, des tableaux, des références. Cependant, quand elle approche le cœur de son argumentation, les références précises manquent. L’affirmation centrale selon laquelle les habitants de HLM y résident par « refus de s’ancrer » (p. 22) via l’acquisition d’un bien immobilier repose sur un postulat indémontrable et fait apparaître comme une anomalie voire une forme d’incivisme ce qui est avant tout l’effet d’une contrainte économique et, tout simplement, un droit (d’ailleurs réservé aux personnes en situation régulière). Selon l’Insee, « la surreprésentation des ménages immigrés parmi les locataires du secteur social s’explique au moins aux trois quarts par des différences socio-économiques », une explication que Michel Aubouin trouve cependant moins éclairante que l’approche culturelle qu’il privilégie. Le postulat d’une immobilité des habitants des quartiers prioritaires est contredit par les chiffres. Une étude récente montre au contraire que la moitié des locataires de logements sociaux habitant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville a déménagé au moins une fois entre 2011 et 2020.

Des assertions non documentées sont multipliées à propos des questions de sécurité, qui plus est de manière revendiquée : « Le degré de violence qui règne dans le quartier, en l’absence de toute communication des pouvoir publics, est intuitivement mesuré par la population » (p. 27, nous soulignons). Laquelle, si l’on comprend bien, préfère malgré tout vivre dans une telle insécurité quotidienne plutôt que de partir rejoindre sous des cieux plus cléments la cohorte heureuse des petits propriétaires… De même l’affirmation selon laquelle les Maghrébins vivent en HLM pour mieux investir dans l’immobilier « au pays » (p. 24) ne repose sur rien : « Ce phénomène n’est pas quantifié », concède l’auteur (p. 25).

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La démonstration souffre également de graves confusions sur certains chiffres : le coût global de la politique du logement est estimé à 30 milliards d’euros, ce qui mélange en réalité les aides à l’accession à la propriété (que la note veut par ailleurs favoriser : prêts aidés, TVA réduite…), les aides au parc locatif privé (APL, dispositifs fiscaux) et le logement social. Ce chiffre ne doit donc pas être pris, comme le laisse entendre le texte, comme la somme des ressources consacrées aux locataires du secteur public social (p. 24). La pratique dénoncée de la sous-location, « manifestement répandue » » (p. 28) n’est pas mieux documentée.

Des contradictions apparaissent en outre dans l’argumentaire. Ainsi, la dénonciation de l’« hyperconcentration » (p. 25) du logement social dans des quartiers (où l’ordre républicain ne serait plus respecté) coexiste avec le refus véhément de la loi « punitive » de solidarité urbaine dite SRU (p. 29), laquelle est précisément faite pour lutter contre ces phénomènes. Autre mystère : les logements sociaux apparaissent dans l’ensemble trop nombreux (p. 12) dans des quartiers à la mauvaise réputation « abandonnés à eux-mêmes » (p. 25), ce qui n’empêche pas l’auteur de considérer que « le logement social est devenu attractif et rare » (p. 18). Ainsi, ce type d’habitat, dont les « inconvénients sont manifestes » (p. 11) dans des quartiers présentés comme invivables, seraient en même temps une sorte de privilège, d’ailleurs revendiqué comme « un droit » par les familles originaires du Maghreb (Algérie et Maroc) » (p. 23). Les « familles d’origine françaises discriminées dans l’accès au logement social » n’auraient ainsi qu’un souhait : enfin habiter dans ces quartiers dont le portrait apocalyptique a été précédemment dressé.

On voit là sans peine que, sous une phraséologie contournée, il s’agit bien de défendre une préférence nationale dans l’accès au logement, revendication phare de l’extrême droite. Dans son programme pour l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen souhaitait en effet « assurer la priorité nationale d’accès au logement social ». Il y était même précisé (p. 9 du livret consacré à la famille), au titre des mesures « visant à améliorer le quotidien des familles », qu’il s’agissait de reprendre des logements à ceux qui les occupent aujourd’hui : « La mise en place de la priorité nationale permettra de remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers, selon les chiffres de l’Insee pour 2017 ». Nous avions montré à l’époque que ce chiffre ne figurait pas dans les documents de l’Insee et qu’il était principalement le fruit de mécomptes, voire de l’imagination de la candidate.  

Selon la note de la Fondation pour l’innovation politique, cette arrivée de familles françaises dans ces quartiers ne devrait cependant pas contribuer à la « mixité sociale », une « perspective discutable » selon l’auteur (p. 11) puisque la vocation initiale, loger les plus modestes, devrait être restaurée (en réalité le logement social en France suit, depuis son origine, un modèle généraliste – non spécialisé sur les publics les plus modestes). Cette contradiction s’explique en partie par la confusion presque systématique au long de l’étude entre habitat social et « quartiers ». Le survol historique insiste d’ailleurs particulièrement sur la construction des grands ensembles des années 1960, ce qui appuie leur vision d’une vocation du logement social essentiellement temporaire et transitoire. Or, les deux géographies ne se superposent pas. Tout le parc HLM n’est pas situé dans des QPV, et les QPV ne regroupent pas seulement des HLM. Par ailleurs, le logement social existait avant la création des grands ensembles (voir les HBM des boulevards de ceinture à Paris) et on ne construit plus du tout le logement social aujourd’hui sous cette forme architecturale. D’autre part, la rénovation urbaine contribue depuis de nombreuses années à changer la physionomie des quartiers de grands ensembles.

Autre dissonance : après avoir stigmatisé durant toute la note les ménages qui restent dans leur logement « à vie », un ultime paragraphe trouve des ressources de commisération inattendue pour les personnes âgées vivant en HLM « malgré l’absence d’ascenseurs et de commerces de proximité », qui ont payé un loyer toute leur vie sans constituer un capital à transmettre à leurs enfants (mais qu’on soupçonne quelques pages plus haut d’avoir placé leur épargne en investissant dans la pierre « au pays ») et qui n’auraient, pour une raison énigmatique, « jamais bénéficié des programmes de rénovation urbaine » (p. 31), le tout sans aucun accompagnement social (sic). 

Dernière énigme : la conclusion propose de détacher les « quartiers » (sans préciser lesquels mais on suppose qu’il s’agit de ceux comprenant des grands ensembles de logement social, puisque la note réduit constamment le logement social à ce type de situation urbaine) comprenant plus de 5 000 habitants et de leur donner le statut de « commune associée », un droit, est-il précisé, « qu’on accorde aux millions de Français qui vivent dans des villes de moins de 10 000 habitants » (p. 33). Après avoir complaisamment décrit des habitants des logements sociaux (à nouveau strictement confondus avec la population étrangère habitant en HLM dans les QPV) au bord de la sécession urbaine, dans des communautés fermées et communautarisées, il s’agirait de renouveler l’esprit civique par la démocratie locale, laquelle serait aussi une garantie de la paix sociale. Mais la note ne dit pas comment « le modèle communal » aurait la capacité de porter un remède aux maux dont il a précédemment multiplié les indices alarmistes.

Ces contradictions laissent l’impression d’un travail hésitant entre des convictions multiples mais peu étayées : une vision du logement social pour l’essentiel réduite aux situations urbaines des grands ensembles de années 1960, une description des « quartiers » focalisée sur la violence et l’économie criminelle, une explication des difficultés par l’origine des populations, une interprétation péjorative de l’installation dans le logement social comme une forme de refus d’intégration voire d’« appropriation du territoire » (lisez : « on est chez nous ! ») qui « retient d’accéder à l’espace de la Nation », (p. 33). Mais une ligne directrice ressort clairement : sélectionner la population éligible au logement social en considérant « la nationalité d’origine du demandeur comme un élément de recevabilité du dossier » (p. 34).

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Marc-Olivier Padis