Les filles, les maths et les sciences au lycée général : mettre les choses en perspectives

Les filles, les maths et les sciences au lycée général : mettre les choses en perspectives
Publié le 12 juin 2024
  • Universitaire, auteur du rapport préfigurateur de la réforme du bac et du lycée
  • Inspecteur général, co-auteur du rapport Villani-Torossian sur l’enseignement des mathématiques
L’un des objectifs de la réforme du bac en 2019 était, selon le ministre Blanquer, de faire émerger des élites scientifiques plus nombreuses et plus mixtes. L’idée s’est toutefois peu à peu répandue que cet objectif était manqué et que les filles, avec la réforme, se détournaient plus encore des sciences qu’auparavant. Pierre Mathiot et Charles Torossian, deux concepteurs importants du nouveau bac, battent ici en brèche cette représentation et défendent l’émergence de nouveaux profils scientifiques féminins grâce à la réforme.
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La DEPP a publié le 12 mars derniers les chiffres détaillés des répartitions des élèves au lycée général en fonction des spécialités choisies en classe de 1ère et de Terminale. Comme souvent, ces données font l’objet d’analyses, parmi lesquelles certaines visent à attribuer à la réforme dite « Blanquer » des effets négatifs qui n’existent pas ou, au mieux, mériteraient une réflexion plus poussée.

L’idée parfois développée, par exemple dans un court papier publié par Libération, est que la réforme aurait fait fuir les filles scolarisées en lycée général des parcours scientifiques. Dans ce papier, il est ainsi avancé qu’il ne resterait « plus que » 17% des filles à suivre des parcours scientifiques.

Ce point de vue est une contre-vérité. Il exclut les filles qui ne suivent pas l’enseignement de spécialité mathématiques en classe de Terminale. Il méconnait aussi l’existence de parcours scientifiques dans les filières technologiques, soulignant une vision très élitiste de la notion de parcours scientifiques qui suppose que seuls les élèves qui ont suivi la spécialité mathématiques du bac général, voire l’option « maths expertes » en Terminale, peuvent être qualifiés de « scientifiques». On en reste là, au fond, à la vision platonicienne des sciences !

Contre-vérité

Notre analyse est logiquement différente et on voudrait la rappeler rapidement ici. Tout d’abord, l’ouverture des possibilités de choix de spécialités en classe de 1ère a rendu la notion même de parcours scientifique plus ouverte pour les élèves en 1ère et en Terminale. Les spécialités scientifiques sont Physique-Chimie (PC), Sciences Industrielles (SI), Sciences et Vie de la Terre (SVT), Numérique et Sciences Informatiques (NSI), auxquelles s’ajoutent bien entendu les Mathématiques. Le tronc commun contient par ailleurs un enseignement scientifique de 2h obligatoire pour tous et, depuis la rentrée 2023, un enseignement de mathématiques de 1h30 pour ceux qui ne prennent pas l’enseignement de spécialité (EDS) de mathématiques. Ceci pour dire, déjà, qu’un parcours scientifique ne se réduit pas au fait de suivre ou pas la seule discipline mathématique.

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Pour rappel, en 2016, avant la réforme, 95.000 filles étaient inscrites en 1ère S – alors la seule filière scientifique. En 2023, d’après les données de la DEPP, près de 94.000 filles suivent un parcours très scientifique en 1ère générale en 2023 (plus de 10h de mathématiques et de sciences/semaine). À ce chiffre, on peut ajouter 22.000 filles qui suivent en 1ère au moins une spécialité en sciences. Prétendre donc que les filles auraient déserté les sciences par rapport à la situation de la 1ère S est sinon faux au moins abusif : elles sont aujourd’hui plus nombreuses à suivre au moins un enseignement de spécialité scientifique en 1ère qu’avant la réforme.

Si l’on accepte de considérer que l’ancienne 1ère S correspond à l’actuelle triplette Math/Physique-Chimie/SVT, celle-ci compte au total 89.000 élèves dont 51.000 filles : les filles y sont donc largement majoritaires. Mais cette triplette ne représente plus que 25% des effectifs totaux de 1ère contre près de 50% avant la réforme avec la série S. De ce constat, les critiques déduisent leur argument central sur l’effondrement des sciences, et particulièrement des sciences suivies par les filles. C’est oublier vite que l’essence de la réforme était d’ouvrir le champ des possibles, et notamment de permettre d’envisager des parcours qui ne soient pas « que » « purement scientifiques ». Ce que l’on peut constater, chiffre de la DEPP à l’appui, est que la réforme n’a pas diminué l’appétence pour les sciences des filles (ni des garçons d’ailleurs) et l’a même, au total, renforcée.

Du bac au post-bac

Nous sommes en fait passés d’une 1ère S filière « d’élite scientifique » imposée dans laquelle nombre d’élèves s’inscrivaient moins par appétence pour les sciences que parce qu’elle était devenue la série générale du bac général, à un système libre dans lequel les élèves choisissent, ou pas, des spécialités scientifiques, sur la base donc de leur motivation pour les disciplines et dans des perspectives de poursuite d’études dans le Supérieur.

La spécialité Maths en classe de Terminale (6h) est choisi par 167.000 élèves dont 70.000 filles, soit 44% des élèves du lycée général et près de 25% de l’ensemble des élèves de Terminale (y compris ceux des séries technologiques et professionnelles dont on ne parle jamais). Ce pourcentage place la France comme l’un des pays les plus ambitieux dans le monde vis-à-vis des mathématiques : ainsi 11% seulement des lycéens aux Etats-Unis sont dans cette situation.

Pour la classe de Terminale, la réforme a rendu possible le choix d’une option « maths expertes » pour les élèves qui suivent la spécialité mathématiques. Ils sont plus de 60.000 cette année à avoir choisi cette option dont 20.000 filles. Pour eux, le volume horaire hebdomadaire de Mathématiques est de 9h (contre 8h dans l’ancienne Terminale S/Option Maths). Depuis 2021, ce sont 5.000 filles de plus qui ont choisi l’option. En 2023, 17.000 filles suivent 2 spécialités scientifiques et l’option maths expertes. Ce chiffre est inférieur de 3.400 par rapport au nombre de filles —20.400— qui suivaient une Terminale S option Maths juste avant la réforme, un différentiel qui est utilisé par les critiques pour dire que la réforme est une catastrophe.

Sauf que le diable se niche dans les détails et que l’analyse, pour être acceptable, doit embrasser tous les paramètres. Avant la réforme en effet, les derniers chiffres disponibles montraient que 7.500 filles, sur les 20.400 « vraies scientifiques » de la Terminale S, s’engageaient dans des études supérieures à forte dominante scientifique (en dehors des études de santé). En 2023, si l’on s’appuie sur les taux d’accès prévisionnels produits par ParcourSup, elles seront près de 15.000 à la rentrée 2024 à s’engager dans de telles études. Autrement dit, le nombre total des filles ayant suivi un parcours très scientifique et très mathématisé, qui se dirigent vers des études scientifiques, et d’abord mathématiques poussées, dans l’enseignement supérieur est en voie de doublement par rapport à avant la réforme.

Cette augmentation du nombre de filles qui se dirigent vers les études longues scientifiques et à haute valeur ajoutée en mathématiques n’est sans doute pas encore suffisant au vu des besoins mais il est précisément ce qui manque pour le futur. On estime en effet à environ 10.000/an le nombre de filles ingénieures supplémentaires dont la France aura besoin en 2030. Par ailleurs, c’est le déficit de filles très bonnes en maths dans les filières scientifiques dures qui renforçait le stéréotype vis-à-vis des mathématiques dans le système scolaire car beaucoup de filles excellentes en mathématiques au lycée s’orientaient en Médecine à l’issu d’un bac S. Ce point est l’une des principales explications de la non évolution du ratio filles/garçons depuis 10 ans dans les filières très fortement mathématisées. Au fond, le modèle de la Terminale S était parvenu à une impasse car l’attractivité des études de médecine « siphonnait » les talents scientifiques féminins et vidait parallèlement les filières à forte dominante maths. La réforme du lycée contribue, à ce stade, à mettre fin à cette situation problématique.

Des profils scientifiques plus ouverts

Les critiques récentes mettent plus généralement en avant la diminution supposée du nombre des élèves qui suivent un cursus scientifique en 1ère et Terminale. Là encore, le point de départ est l’ancienne série S assimilée à un horizon indépassable. Quand on regarde les statistiques produites par la DEPP, on dénombre un total de plus de 100 « doublettes » en Terminale (les deux spécialités). Parmi elles, 50 peuvent être considérées comme relevant d’un cursus scientifique, celles qui sont composées d’au moins une spécialité ès sciences. Le total des élèves qui en Terminale suivent l’une de ces 50 « doublettes » est de 191.000 élèves qui suivent en Terminale, parmi eux 46,5% sont des filles. Ce chiffre correspond à la situation de la Terminale S de 2016 —189.000 élèves dont 46,5% des filles.

En regardant en détail, on compte 157.500 élèves qui suivent un parcours très scientifique (+ de 14h de sciences ou mathématiques) en Terminale dont 69.500 filles (44,1%) ce qui est évidemment tout à fait intéressant du point de vue de la comparaison internationale, sachant que c’est une situation choisie et non plus subie. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la poursuite d’études scientifiques de ces élèves est plus importante que celle de leurs ainées de Terminale S, ce qui assure un « flux » entrant dans l’enseignement supérieur en forte augmentation. C’est le sens profond de la réforme du lycée qui porte l’ambition d’un continuum de formation choisie de la 1ère générale à Bac+3.

Ces divers éléments permettent de dire que la réforme n’a pas entraîné de baisse du nombre d’élèves, notamment des filles, qui font des sciences et, au contraire, garantit un flux au terme des études au niveau Bac+ 3 et Bac +5 en augmentation de tous les points de vue.

Par ailleurs, la réforme a aussi élargi la notion de parcours scientifiques, créé des opportunités pour des parcours mixtes sciences dures/autres disciplines très intéressants pour l’avenir et renforce la qualité de l’orientation des filles intéressées par les mathématiques vers des cursus post-bac exigeants dans ce domaine.

Est-il regrettable ou dangereux pour notre société que des élèves mixent leurs choix, associent spécialités scientifiques et non scientifiques ? Nous ne le pensons pas ! C’est au contraire un très grand progrès car les enjeux scientifiques du XXIe siècle ne sont pas « que » scientifiques. Ils sont globaux et portent des dimensions sociétales, économiques, politiques fortes. Que l’on pense ici à la transition énergétique, aux questions climatiques, aux enjeux liés à l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas « simplement » de questions techniques réservées à des savants modélisateurs, mais de questions globales et sociétales. On ne peut plus approcher les sciences par l’unique spectre des mathématiques abstraites. Si les jeunes générations, notamment les filles, considèrent qu’il est bien de mixer les sciences et le prouvent par leurs choix de spécialités, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Les enjeux à venir

Il n’en reste pas moins que la situation générale doit être améliorée. Il faut promouvoir encore plus auprès des filles les parcours très scientifiques en se fixant pour objectif d’en compter 20.000 de plus qu’aujourd’hui ; c’est possible puisqu’en pilotant l’orientation on a pu augmenter de 5.000 le nombre de filles en Maths expertes en 2 ans. Un travail avait été conduit pour rendre cela possible dans le cadre du Comité de suivi de la réforme – et la dernière étude de la Depp indique que l’on est dans la bonne voie – même si toutes les recommandations n’ont pas été mises en œuvre. La « jauge » globale des élèves que l’on peut qualifier de scientifiques, filles et garçons, demeure encore insuffisante face aux enjeux du futur à court terme, mais cette situation n’est pas liée à la réforme du bac et du lycée mais plutôt à une image dégradée des disciplines scientifiques qui débute dès les premières classes de l’enseignement scolaire, notablement du côté des filles – à l’exception des SVT.

L’autre grand enjeu réside dans l’offre de formation post-bac. Force est de constater ici une inertie encore trop grande de l’enseignement supérieur face à la transformation des parcours au lycée des élèves. On en reste encore par trop à des attendus qui reposent sur le suivi de la « triplette historique » au détriment d’approches plus ouvertes au suivi, par exemple, d’une spécialité « non scientifiques ». L’enseignement supérieur tend encore à chercher l’ancien bac dans le nouveau ! Il serait bon de soutenir de manière urgente l’ouverture de filières post-baccalauréat (BUT, Licence, Bachelor, Écoles d’ingénieurs post-bac, CPGE) qui mixent ces approches.

Au total, les débats à partir des données publiées par la DEPP méritent mieux que des affirmations rapides et insuffisantes dont le but principal est de remettre en cause une réforme qui s’est désormais installée dans le paysage éducatif et est très largement comprise et acceptée par les élèves.

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Pierre Mathiot

Charles Torossian