Un nouvel ambassadeur russe à Paris

Un nouvel ambassadeur russe à Paris
Publié le 19 mars 2025
Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon réécrit l’histoire : celle de l’effondrement de l’URSS, celle des supposées « promesses » occidentales de ne pas étendre l’OTAN à l’Est, celle des frontières de l’Ukraine. Sous couleur de non-alignement, l’Insoumis épouse en réalité la vision et les arguments de Vladimir Poutine.

Pour savoir ce que pense Jean-Luc Mélenchon sur un sujet, pas la peine de parcourir les gazettes : le leader Insoumis tient, sur son blog (https://melenchon.fr), un journal personnel à ciel ouvert où il livre chacune de ses pensées. Et ces dernières semaines, ses pensées se sont tournées en particulier vers la crise ukrainienne et l’ensemble de ses nombreuses ramifications géopolitiques.

Jean-Luc Mélenchon tient tout d’abord à sécuriser l’historique des positions de son mouvement sur le sujet. Qu’il ne soit pas dit que les Insoumis aient manqué d’ardeur à condamner l’agression russe et à soutenir la victime !

« Nous avons été, dès sept heures du matin, les premiers parmi les partis de gauche à formuler la condamnation ce 24 février-là. Et, bien sûr, les premiers et les seuls à en annoncer le risque en 2008 quand, à Budapest, l’Union européenne annonçait la prochaine adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’Otan. » (09/03)

Oubliées donc les déclarations de la veille qui plaçaient la Russie dans la position de la victime agressée (« Je considère que ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui sont dans la position agressive et non la Russie », C dans l’air, 30 janvier 2022). Oubliée l’abstention des élus Insoumis au Parlement européen le 16 février 2022 lors du vote pour une assistance financière à l’Ukraine dans le cadre du FMI alors que Poutine massait ses chars le long de la frontière. En réalité, jusqu’à la dernière minute, LFI et son leader auront soutenu la Russie. Et, même après le début de l’agression russe, les Insoumis refusaient de soutenir la livraison d’armes aux Ukrainiens au motif qu’il ne fallait donner aucune prise à une nouvelle escalade.

La mention de l’épisode de 2008 mérite cependant qu’on s’y arrête. J.-L. Mélenchon accuse les Européens et l’OTAN d’avoir provoqué la Russie en accueillant favorablement les demandes d’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Alliance atlantique. La réalité est assez différente. Lors du sommet de l’OTAN à Bucarest en décembre 2008, les demandes d’adhésions de ces deux pays sont jugées essentielles mais reportées sine die. La chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel, a d’ailleurs exprimé depuis l’opposition qui était la sienne à cette perspective d’élargissement de l’Alliance. Son argument n’avait du reste rien à voir avec la Russie : elle considérait surtout que les démocraties ukrainienne et géorgienne étaient encore trop fragiles pour être intégrées à l’OTAN.

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J.-L. Mélenchon réécrit donc l’histoire à sa façon. Ou, plus exactement, à la façon de Vladimir Poutine. Comme la propagande russe le martèle, il prétend ainsi qu’au moment de l’effondrement de l’URSS, les Occidentaux avaient fait à Moscou la promesse que l’OTAN ne viendrait jamais aux frontières de la Russie. Cette affirmation est à nouveau très contestable. Elle est notamment contestée par Mikhail Gorbatchev, témoin de premier plan s’il en fut, dans une interview réalisée en 2014 :

« Le sujet de « l’expansion de l’OTAN » n’a absolument pas été discuté et n’a pas été évoqué à cette époque. Je le dis avec une entière responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, pas même après la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l’ont pas abordée non plus. »

Ce résumé – assez personnel – des épisodes précédents étant fait, J.-L. Mélenchon concentre à présent ses attaques sur les « va-t-en guerre de salon » et les « généraux d’opéra » qui paradent sur les chaines d’info en continu. Ce qui vaut à ses adversaires cette connotation d’impuissance, c’est le diagnostic, partagé avec l’extrême-droite et les médias Bolloré, selon lequel la guerre est terminée : tandis que l’on fanfaronne sur les plateaux de TV, elle est en réalité déjà perdue pour « l’Europe atlantiste ».

A cette affirmation se mêle une forme de satisfaction de voir se réaliser l’échec de ce que Mélenchon a toujours voué aux gémonies : l’OTAN. Il y a là comme un écho du « défaitisme révolutionnaire » des léninistes : souhaiter la défaite de son propre camp pour hâter le renversement du régime en place. « Mon plus grand désir est que la Prusse se fasse battre ; il y aurait alors une révolution à Berlin », avait déclaré Friedrich Engels le 2 avril 1866. De même, dans ses posts de blog, J.-L. Mélenchon appelle de ses vœux la « défaite » de l’OTAN, et y voit le préalable à une révolution en Europe.

Les boutefeux qui voudraient voir la guerre s’éterniser sont en réalité dans un « déni de défaite » (09/03). Ils refusent de considérer ce nouvel échec militaire comme ceux qui l’ont précédé : « Comme si, après le chaos en Irak ou en Libye, après la déroute en Afghanistan, après la mise à feu et à sang du Moyen-Orient, et combien d’autres épisodes calamiteux, l’Europe atlantiste faisait autre chose que de s’enfoncer… » (01/03)Non seulement « le Donbass et la Crimée ne seront pas récupérés », non seulement « l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine n’aura pas lieu », mais « il n’existe aucune possibilité militaire (dissuasion nucléaire mise à part) de conduire une guerre si peu que ce soit victorieuse contre la Russie ». Et pour cause : les capacités de production militaire européennes sont notoirement insuffisantes et notre dépendance matérielle vis-à-vis des Etats-Unis beaucoup trop grande (02/03). Bref, 1) la guerre est perdue, 2) on ne pouvait pas la gagner et 3) c’est une bonne nouvelle. On pourrait plaider que la Russie est pourtant loin de l’avoir gagnée, sinon à la faveur du lâchage américain ; qu’elle est encore dans les tranchées gelées du Donbass trois ans après le déclenchement d’un conflit qu’elle devait plier en trois jours ; que Zelensky n’a jamais été aussi populaire dans son pays et que l’esprit national ukrainien n’a fait que se renforcer depuis le déclenchement de la guerre. Mais tout cela n’entre pas dans le fil du raisonnement de J.-L. Mélenchon qui semble perpétuellement victime d’un biais de confirmation : de la réalité, il ne retient que les éléments qui coïncident avec sa vision du monde.

Dans cette vision du monde, il est établi par avance que les Européens ne gagneront pas non plus les guerres suivantes car ils sont dans la main des Etats-Unis. En effet, l’OTAN est moins une alliance protectrice qu’un centre de profit et un système de contrôle des Américains sur leurs alliés :

« Le pire de l’OTAN est ailleurs. Tout matériel américain est soumis au contrôle du gouvernement et du commandement américain. En effet, sans son autorisation, ni décollage, ni ciblage possible. Autrement dit, l’OTAN et l’équipement US ne sont en aucun cas une garantie de pouvoir agir soi-même le moment venu. C’est le contraire. Ça ne fonctionne que comme les USA le décident et quand ils le veulent. Ce n’est pas tout. Tout le matériel interconnecté est rendu visible par toutes les parties prenantes. Chacun sait donc à tout moment « qui fait quoi et où » avec son matériel. Impossible donc de se soustraire au contrôle US sans être soi-même privé de renseignements. Seuls les USA disposent d’une clef de cryptage leur permettant de brouiller les signaux de leurs activités. Enfin tout matériel contenant un composant venu des USA ou d’une entreprise US est soumis à autorisation des USA pour pouvoir être vendu. » (08/03)

Quand Donald Trump demande aux Européens de consacrer 5% de leur richesse produite à la défense, en réalité, il fait ses courses car, poursuit l’Insoumis, il « faut se souvenir qu’il s’agit prioritairement [d’acheter] des armes produites par les USA » : « D’ailleurs, au cours des cinq dernières années, 55 % des importations d’armes en Europe provenaient des États-Unis, contre 35 % dans la période 2014-2018. C’est dire le degré de rapidité à exécuter les ordres des USA sur le vieux continent. » (07/03)

On peut difficilement contester les constats du leader Insoumis quant aux bénéfices – à la fois économiques et politiques – que les Etats-Unis tirent de l’OTAN. Néanmoins, pointe ici une contradiction qui n’aura pas échappé au lecteur attentif : si l’OTAN donne une telle emprise aux Etats-Unis, pourquoi donc ces derniers travaillent-ils avec une telle application à en affaiblir la fiabilité et la crédibilité ? Le leader Insoumis a la solution, au moins imaginaire, à cette difficulté : si les Etats-Unis sont prêts à sacrifier l’OTAN, c’est parce qu’ils sont déjà en train d’en créer une autre, tournée vers l’Asie cette fois-ci :

« l’OTAN est un moyen de contrôle trop précieux pour que les USA y renoncent sans avoir en réalité un plan de substitution. Des prémices existent déjà et se sont révélées déjà autour de l’affaire des sous-marins australiens d’abord commandé à la France puis annulés au profit des USA. Mesure vite suivie de la création d’une alliance militaire qui préfigure une « OTAN asiatique » dont les Français ont été exclus. Un noyau dur existe d’ailleurs avec la structure de renseignement surnommée « 5 yeux » (Five Eyes). C’est une « anglo-sphère » composée par les USA, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. » (08/03)

Evidemment, on a le droit de douter un peu de ce plan de substitution. Pas sûr que le Canada soit d’humeur à coopérer. Pas sûr non plus que le Canada, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie assurent au complexe militaro-industriel américain les mêmes débouchés et les mêmes bénéfices. Pas sûr que le solde net de l’opération entre les pertes éventuelles sur le continent européen et les gains dans l’Indo-Pacifique soit positif pour les Etats-Unis. Pas sûr que, le moment venu, Poutine ne préfèrera pas le camp de Pékin à celui de Washington. Bref, à force de prêter aux Etats-Unis des plans machiavéliques, des coups à quatre bandes, le leader Insoumis manque peut-être une hypothèse plus simple mais, dans le cas d’espèce, beaucoup plus sérieuse : celle de la bêtise, du mauvais calcul. Et si Washington présumait juste de sa puissance ? Et si Washington tenait un compte très insuffisant de ses pertes à la fois économiques et diplomatiques ? Et si Donald Trump, par ignorance ou par idéologie, était en train d’affaiblir son pays ?

Une telle hypothèse n’a aucune place dans le cerveau de Jean-Luc Mélenchon. Il est écrit, dans les tables de la loi du militant non-aligné et altermondialiste, que les Etats-Unis sont le seul véritable ennemi. De ce point de vue, l’arrivée de Trump est une bénédiction car elle met à nu les visées impériales de Washington, le mépris pour les Européens, la poursuite égoïste des intérêts économiques, l’autoritarisme, le faible attachement à la démocratie, etc. Trump est la caricature de l’Oncle Sam vu par l’extrême-gauche matérialiste : une sorte d’épiphanie historique. Et cette révélation a l’immense mérite de masquer les autres ennemis : la Russie en l’occurrence.

Car, que faire à présent ? La réponse est simple : réchauffer les vieilles réponses que l’on avait prudemment placées au congélateur il y a trois ans.     

« Le moment serait propice pour organiser une conférence des frontières sous l’égide de l’OSCE. Ce serait la manière préventive de prendre en compte les conflits existant et résoudre ceux qui s’enkystent. Il faut le faire avant que la méthode des Russes, de Netanyahu, du Rwanda, de l’Azerbaïdjan, ne fasse école pour régler ce qui est en crise à l’heure actuelle encore aux frontières de la Géorgie ou de la Moldavie par exemple. » (09/03)

Une conférence des frontières pour anticiper les exigences des dictatures ! J.-L. Mélenchon reprend sa vieille idée – très poutinienne – selon laquelle les frontières héritées de l’éclatement du bloc soviétique doivent être revues. Le 20 mars 2017, lors d’un des débats télévisés de la campagne présidentielle d’alors, il promettait ainsi : « Je veux être le président de la paix et faire une conférence de sécurité de l’Atlantique à l’Oural. Il faut qu’on rediscute de toutes les frontières issues de l’ancienne Union soviétique ». Et il ajoutait un peu plus tard pour enfoncer le clou : « La frontière entre la Russie et l’Ukraine est-elle à la fin de la Crimée ou avant ? Je n’en sais rien. On doit en parler ». On imagine que le destin de la Transnistrie, de l’Ossétie du Sud et de bien d’autres régions frontalières de la Fédération de Russie laissent J.-L. Mélenchon dans la même feinte perplexité. En revanche, il ne nous dit pas, une fois son hypothétique conférence des frontières achevée, qui serait chargé de veiller au respect des nouveaux tracés. Comment les nouvelles frontières seraient-elles garanties ? Dans l’esprit d’un « non-aligné », cette tâche ne pourrait évidemment être confiée ni à l’OTAN ni à l’ONU. Chaque Etat serait donc responsable de faire respecter ses nouvelles frontières… c’est-à-dire en réalité libre de créer de nouveaux litiges, des incursions discrètes, des contestations sournoises. Retour à la case départ.

En réalité, l’opinion du leader Insoumis est largement faite : les Russes ont de légitimes revendications à faire valoir. D’ailleurs, concernant la Crimée, Mélenchon n’avait pas fait mystère de ses opinions en 2014, au moment de l’annexion russe. « Ses ports sont vitaux » pour la Russie, avait-il d’abord déclaré (LCI, 2 mars 2014), avant de dérouler son narratif anti-atlantiste habituel : les vrais responsables sont évidemment « l’OTAN et l’Amérique [qui se livrent] depuis des années à une provocation face à la Russie ». Quelques mois plus tard, dans un post sur son blog cité par Libération (24 octobre 2014), il finissait par se réjouir de l’événement : « La Crimée est perdue pour l’OTAN. Tant mieux ! ».

Toutefois, concernant l’Ukraine, J.-L. Mélenchon se trompe clairement de débat. La question n’est pas celle des frontières. D’abord parce que la Russie s’était clairement engagée à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine dès le mémorandum de Budapest signé en 1994, en échange de dénucléarisation de cette ancienne république soviétique (un accord confirmé encore en 2009 par les Etats-Unis et la Russie, ce qui prouve, si besoin était, que la question des frontières n’a pas du tout été négligée après l’effondrement de l’Union soviétique et a fait l’objet d’un intense travail diplomatique).

Ensuite et surtout parce que le point essentiel est ailleurs : la revendication russe vis-à-vis de l’Ukraine n’est pas une querelle de frontière. Vladimir Poutine, mettant à profit l’isolement imposé de la période Covid, a pris le soin d’écrire un long mémoire sur les relations entre son pays et l’Ukraine, significativement intitulé « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (mis en ligne sur le site du Kremlin en juillet 2021) d’où il a tiré, juste avant la tentative d’invasion, la conclusion que l’Ukraine ne devrait pas exister en tant qu’Etat souverain séparé de la Russie. Russes et Ukrainiens sont frères ! Pourquoi vivraient-ils séparés dans deux Etats distincts ? D’ailleurs, les troupes russes, dans l’esprit de Poutine, ne devaient-elles pas être accueillies, au lendemain du 24 février 2022, par des foules en liesse, enfin délivrées des « nazis au pouvoir à Kiev » ? Poutine ne veut pas déplacer les frontières entre la Russie et l’Ukraine : il veut faire disparaître l’Ukraine comme Etat souverain. Pour un vieux militant anti-impérialiste comme Jean-Luc Mélenchon, quelle ironie de ne pas savoir reconnaître, quand elle nous tombe sous les yeux, une ambition impériale qui s’affiche aussi ouvertement ! Certaines formes de colonisation sont manifestement plus tolérables que d’autres.

Résumons donc. Pour J.-L. Mélenchon, la guerre est perdue et les Européens n’ont aucune chance de gagner les suivantes. Les pays frontaliers de la Russie ne doivent pas adhérer à l’OTAN. Et les frontières héritées de l’éclatement de l’Union soviétique doivent être renégociées. J.-L. Mélenchon pourrait assurément candidater au poste de porte-parole du Kremlin à Paris. Voire d’ambassadeur.

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Thierry Pech