RN : au-delà du natalisme, le sexisme et la xénophobie

RN : au-delà du natalisme, le sexisme et la xénophobie
Publié le 28 juin 2024
Le natalisme du RN se résume en quelques mots : pousser les femmes françaises à faire des enfants français pour dresser une digue démographique contre la submersion migratoire et le déclin civilisationnel. Un projet qui combine étroitement le sexisme et la xénophobie et qui, très probablement, entraînerait des conséquences calamiteuses.
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Le 17 juin, Jordan Bardella poste sur les réseaux sociaux une vidéo adressée à « toutes les femmes de France » : « Je serai, promet-il, le Premier Ministre qui garantira à chaque femme et à chaque fille de France ses droits et ses libertés ». Depuis, de nombreux articles ont rappelé les ambiguïtés du RN sur la question de l’IVG ou de l’égalité salariale. De fait, dans le programme du Rassemblement national pour ces législatives, le mot « femme » n’apparaît pas une seule fois. Par contre, les femmes sont directement concernées par la politique nataliste portée par le RN. Une politique essentielle pour comprendre le projet xénophobe et le conservatisme moral profondément sexiste de ce parti.

Le RN n’a pas attendu cette campagne législative pour défendre ces idées. En septembre 2022, ses élus au Parlement avaient déposé une proposition de résolution visant à déclarer la natalité française « Grande cause nationale 2024 ». Dans ce texte, ils plaidaient, sur un ton alarmiste, pour une politique de natalité ambitieuse sur le modèle de celles mises en place par les extrêmes droites hongroises et polonaises. Surtout, ils présentaient la hausse de la natalité comme l’unique rempart face à une « immigration de peuplement ».

Pour bien comprendre la vision sous-jacente à cette politique, cette note revient, non pas sur le programme officiel du RN qui lui sert aujourd’hui de vitrine, mais sur quelques-uns des amendements concrets et des propositions de loi portés par ses élus dans l’exercice du mandat parlementaire ces deux dernières années.

Des mesures peu efficaces face à une préoccupation peu alarmante

Les discussions sur la réforme des retraites de 2023 ont donné au RN l’occasion de multiplier les amendements natalistes. A leurs yeux, la hausse de la natalité était en effet « nécessaire à l’équilibre de notre système de retraite » (Amendement n° 16719). Plusieurs amendements visaient en ce sens à inciter financièrement les couples à la procréation, notamment en rétablissant l’universalité des allocations familiales. Alors qu’aujourd’hui, ces allocations sont accordées seulement à partir du deuxième enfant (Art. L. 521-1 du code de la Sécurité Sociale), sept amendements ont été déposés par des élus RN afin qu’elles puissent être versées dès le premier enfant. Surtout, depuis 2015 (art. 85 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015), elles étaient attribuées en fonction des ressources du ménage, ce qui de facto, revenait à supprimer leur universalité. C’est pourquoi l’amendement n° 17864, porté par de nombreux élus RN, demandait la réalisation d’une étude sur l’impact de cette loi de 2015 sur l’évolution de la natalité en France, soupçonnant ainsi un lien de cause à effet. Surtout, l’amendement n° 925 rétablissait l’éligibilité aux allocations familiales sans condition de ressources et l’amendement n° 926 souhaitait réhausser le plafond du quotient familial à 2.336 € (la réforme de 2014 l’avait baissé à 1.678 €).

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Ce point est essentiel : les allocations familiales ne visent pas, aux yeux des élus RN, à apporter une aide économique aux familles qui en ont besoin mais à promouvoir un comportement jugé vertueux : avoir plus d’enfants. Avec la sortie de l’universalité, les allocations familiales étaient devenues une politique sociale. Avec le RN, elles redeviendraient une politique démographique de type nataliste. Le lien entre hausse de la natalité et puissance nationale, qui justifiait les politiques natalistes depuis la IIIe République comme nous l’avions expliqué dans un entretien avec l’historien Christophe Capuano, est réinvesti à la faveur d’un projet qui vise la « perpétuation de notre civilisation » dans une perspective xénophobe.

Dans la lignée de ce projet nataliste, le programme du RN pour les législatives 2024 contient deux autres propositions pour stimuler financièrement la natalité. La première, déjà proposée par Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2022, est la création d’un prêt public immobilier à taux zéro. Dans son programme, on lit que ce prêt « sur dix ans, pouvant aller jusqu’à 100.000 €, viendra compléter tout prêt immobilier souscrit auprès d’une banque par les couples dont la moyenne d’âge est inférieure à trente ans, et dont au moins l’un des deux membres est Français. Et pour encourager les projets familiaux, le capital restant dû sera transformé en don à la naissance de leur troisième enfant ». Cette mesure est calquée sur le dispositif hongrois mis en place en 2019 par Viktor Orban pour encourager la natalité. Dans un précédent article de La Grande Conversation, nous avions montré en quoi cette mesure profiterait principalement aux ménages à hauts revenus et favoriserait une dynamique de rente, tout en pesant fortement sur les finances publiques (Le prêt immobilier à taux zéro pour les jeunes couples : les variations hongroises de Marine Le Pen).

La deuxième mesure est l’attribution d’une « part fiscale complète dès le deuxième enfant » (contre une demi-part aujourd’hui) pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Cette mesure, qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi portée par les élus RN en 2023, ne toucherait par définition que les ménages qui acquittent cet impôt, soit un peu moins de la moitié la plus favorisée de la population. Elle priverait en outre les finances publiques de recettes fiscales qui n’ont jamais été chiffrées. 

Comment le RN justifie-t-il ces mesures ? Dans chaque amendement ou proposition de loi, on retrouve les deux mêmes arguments : 1) la France connaît une baisse de la natalité jugée dramatique et 2) les Français ne font pas autant d’enfants qu’ils le souhaiteraient.

1) L’angoisse du déclin démographique est un leitmotiv des discours de l’extrême-droite, en France comme dans beaucoup d’autres pays européens où elle s’est fortement implantée (Russie, Hongrie, Italie, etc.) et qui, il est vrai, sont entrés dans un « hiver démographique ». Elle paraît pourtant beaucoup moins justifiée dans le cas de notre pays. D’après les données de l’Insee, en 2023, l’indicateur conjoncturel de fécondité était de 1,67. Certes, il n’a cessé de baisser – à l’exception d’une légère hausse en 2021 après le confinement – depuis 2010 où il était de 2,02. Cependant, le nombre d’enfants moyen par femme avait beaucoup augmenté entre 1994 (1,68) et 2010. Ainsi, la baisse de la natalité que connaît la France aujourd’hui succède à une période de forte augmentation. Il n’est d’ailleurs pas impossible que, depuis les années 2010 comme cela avait été le cas dans les années 1990, une part du ralentissement observé soit lié à un effet calendrier : on ferait tout autant de bébés, mais plus tard dans la vie. Comme l’explique une note du Centre d’observation de la société, quand les couples décident de reporter les naissances, l’indicateur conjoncturel de fécondité diminue dans un premier temps puis remonte avec la hausse de la fécondité aux âges plus élevés. Cet effet calendrier a des causes à la fois conjoncturelles (crise sanitaire, maintien du chômage et de la précarité à des taux élevés, climat d’insécurité lié à la situation internationale) et structurelles puisque l’âge de la maternité a augmenté.

Surtout, même si la France traverse une période de baisse de sa natalité, elle reste le pays de l’UE avec l’indicateur conjoncturel de fécondité le plus élevé en 2021, année où l’indicateur moyen en UE était seulement de 1,53 enfants par femme (Insee). Ainsi, la natalité française tend à se « normaliser » dans l’environnement européen tout en restant en haut du panier.

Enfin, comme nous l’avions montré ici même, partout dans le monde, depuis l’an 2000 et avec une accélération notable depuis 2015, on assiste à une baisse notable de la fécondité. S’il existe une tendance au « désarmement démographique », elle est aujourd’hui globale. Au niveau mondial, le nombre d’enfants par femme a diminué de moitié en 50 ans. Même sur le continent africain, régulièrement décrit comme une « bombe démographique » par les élus RN, la transition est enclenchée. Le syndrome de la citadelle assiégée qui hante les discours du Rassemblement national et nourrit sa panique démographique se heurte ici aux faits et aux chiffres.

2) Ensuite, les élus RN citent systématiquement une étude de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) en affirmant que « le désir d’enfant est estimé à 2,39 par femme, alors même que le nombre réel d’enfant par femme est de 1,87 » (Proposition de loi n° 985 par exemple). Si ces chiffres sont exacts et si ce qui freine la réalisation du désir d’enfant est, selon les sondés, d’abord un manque de stabilité financière et professionnelle, ces résultats n’ont pour autant rien d’alarmant. En effet, le désir d’enfant désigne le nombre « idéal personnel d’enfant qu’une personne aimerait ou aurait aimé avoir », c’est-à-dire qu’il mesure une intention dégagée de toute contrainte et contingence, y compris celles du temps, de la stabilisation sur le marché du travail, de la formation des couples, etc. C’est pourquoi, dans tous les pays occidentaux, on retrouve ce même écart entre idéal et réalité que les démographes appellent le fertility gap. Ainsi, les deux arguments qui justifient la politique nataliste du RN ne sont pas aussi alarmants que les élus souhaitent le faire croire.

Concernant le déficit des retraites et l’idée qu’il pourrait être sauvé par la natalité, l’argumentaire des élus RN ne tient pas davantage. En février 2023, le député RN Thomas Ménagé expliquait sur France Inter qu’il fallait « fabriquer des travailleurs français » pour augmenter le nombre de cotisants français. Sauf que le déséquilibre du système par répartition est en partie lié à l’arrivée à l’âge de la retraite des cohortes nombreuses du baby boom. Or, les enfants qui naîtraient à partir de 2025 ne cotiseraient pas au système par répartition avant les années 2045-2050, c’est-à-dire au moment où la partie la plus nombreuse des classes du baby boom  ne pèsera plus sur le régime par répartition. Entre temps, dans les vingt années qui viennent, ces enfants pèseraient en revanche sur le ratio de soutien actifs/inactifs, les actifs devant subvenir aux besoins des retraités par leurs cotisations, mais aussi bien évidemment aux besoins des enfants à charge… Ainsi, l’horizon de temps de la politique nataliste envisagée par le RN est trop décalé par rapport à la chronologie du déséquilibre du système par répartition pour lui apporter une réponse satisfaisante. S’il s’agit d’équilibrer le système de retraites par la démographie, il ne suffit pas de mettre au monde de futurs « travailleurs français », encore faut-il le faire au bon moment !

Enfin, l’argument de l’efficacité des incitations financières à la procréation mérite d’être discuté. Les politiques natalistes proposées par le RN reposent en effet sur un postulat qui n’a rien d’évident : les individus feraient plus d’enfants parce qu’ils y trouveraient des avantages financiers. C’est oublier que le choix de faire des enfants dépend aussi de l’évolution des normes, des mœurs et de la situation socio-économique d’une société. Dans cette étude de l’UNAF que les élus RN aiment à citer, on lit que le désir d’enfants varie avec l’âge : il est de 2,08 pour les 15-25 ans et de 2,62 pour les 65 ans et plus. Le facteur générationnel est donc essentiel pour comprendre les évolutions de la natalité. De même, la hausse du niveau de formation initiale des femmes aussi bien que celle de leur participation au marché du travail expliquent l’augmentation de l’âge de la maternité (un peu plus de 29 ans aujourd’hui). N’en déplaise au RN, des incitations financières ne suffiront certainement pas à revenir aux mœurs et aux normes dominantes de la société française d’après-guerre.

Si elles ne suffisent pas à elles seules à emporter la décision de faire des enfants, les conditions financières et matérielles préalables à l’arrivée d’un enfant (étude de l’UNAF) pourraient néanmoins la favoriser. Reste à savoir dans quelles proportions. Pour mesurer l’efficacité des politiques d’incitations financières à la fécondité, l’économiste Camille Landais a utilisé les statistiques de l’impôt sur le revenu entre 1915 et 1998 pour analyser l’évolution de la natalité par décile en fonction des évolutions du quotient familial (Camille Landais – Le quotient familial a-t-il stimulé la natalité française – sous la direction de Thomas Piketty). Ses travaux montrent que les incitations fiscales ont un impact extrêmement réduit sur la fécondité. En outre, il faut entre 5 et 10 ans pour observer un changement, ce qui témoigne d’une forte inertie des comportements. Surtout, il semble que la fécondité réagisse plus à une baisse des incitations financières qu’à une hausse. Ainsi, les mesures natalistes portées par le RN, en plus de peser sur les finances publiques, auraient probablement une efficacité démographique très limitée.

Une politique nataliste portée par un projet xénophobe

Au-delà de son manque d’efficacité, la politique nataliste du RN s’inscrit dans un projet ethnicisant qui vise à assurer la perpétuation de la « civilisation française » comme on peut le lire dans le programme de Marine Le Pen en 2022. Depuis 1974, le parti familial des Le Pen défend une natalité française – et non la natalité de la France – dans le double souci de satisfaire les catholiques traditionalistes et les identitaires saisis de panique face à la supposée « submersion migratoire ». En 2007, Jean-Marie Le Pen souhaitait déjà encourager la natalité de « petits Français de souche » pour contrer l’immigration.

Les débats concernant le modèle de financement des retraites ont été un moyen pour les élus RN de défendre un modèle social basé sur la préférence nationale – ligne directrice de leur projet politique. Le député Sébastien Chenu déclarait ainsi sur France Inter : « Je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe ». Sa collègue Laure Lavalette enfonce le clou dans l’Hémicycle le 7 février 2023 : « Un grand nombre d’enfants est le signe de la vitalité d’une nation. Toutes les ambitions sociales de notre pays sont possibles par la natalité et non grâce à l’import de main d’œuvre étrangère par l’immigration. La troisième voie, c’est nous ! ».

En plus de ces interventions médiatiques, un grand nombre d’amendements à la réforme des retraites déposés par des élus RN révèlent le caractère xénophobe de leur projet. Ainsi, plusieurs amendements ont été déposés pour réserver les allocations familiales aux foyers « dont au moins l’un des deux parents a la nationalité française » (Amendement n° 17832) ou « à tous les foyers dont la personne qui assume la charge effective et permanente des enfants est de nationalité française » (Amendements n° 20451 et n° 19982). Pour créer des recettes afin de « financer une réforme des retraites juste et équitable », l’amendement n° 16719 propose de réserver la prime de naissance, l’allocation de base de la Paje, la prestation partagée d’éducation de l’enfant et du libre choix du mode de garde aux ménages et personnes de nationalité française. En proposant la suppression de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine (Amendement n° 18346), les élus RN montrent bien que ces amendements sont guidés par un choix idéologique xénophobe beaucoup plus que par la recherche de nouvelles recettes. En effet, les conditions d’accès à cette aide sont très restrictives et elle ne concerne qu’un nombre très limité d’allocataires, comme nous l’avions expliqué dans un précédent article (La Grande Conversation – « Le RN à l’Assemblée : une mue en trompe-l’oeil »). Ainsi, leur politique nataliste, prônée comme une solution au déficit des retraites, est en réalité un prétexte pour mettre en place une politique xénophobe.

Mme Parmentier, députée RN à l’origine de nombre des amendements présentés ci-dessus, a proposé une loi en mars 2023 reprenant les points clés de la politique nataliste du RN. Cette proposition de loi vise « à restaurer l’universalité des allocations familiales et à les réserver aux familles françaises ». D’après l’exposé des motifs, ce « soutien aux familles françaises » quels que soient leurs revenus est aussi un moyen de « consolider la communauté nationale » par « une reconnaissance de leur apport à notre pays ». De manière explicite, les allocations familiales deviennent un outil pour marginaliser les populations étrangères et récompenser les « bons Français ».

Ce qui est hautement problématique, c’est que les enfants nés en France de parents étrangers ont pour l’immense majorité d’entre eux vocation à devenir français en vertu du droit du sol. Les priver d’allocations familiales, c’est en réalité léser, non seulement leurs parents étrangers, mais aussi ces « bientôt Français » qui, demain, travailleront, acquitteront des impôts, paieront des cotisations et contribueront ainsi à la fois à la richesse et à la solidarité nationales. Cette politique de soutien aux familles françaises est en réalité un puissant facteur de pauvreté infantile dont notre pays paiera les frais par la suite.

Cécile Alduy, professeure à l’université de Stanford (Californie) et spécialiste du discours de l’extrême droite, explique dans un article du Monde que cette politique nataliste est en réalité un « prétexte pour valider, avec un certain flaire, une mesure d’essence identitaire et ethniciste, en la faisant passer pour économique et pragmatique ». En analysant les discours de Marine Le Pen, elle montre que ces mesures sont empreintes d’une vision globale où « l’individu est soumis à la cellule familiale, elle-même soumise à la cellule du peuple natif ». A travers ces mesures natalistes se dessine un véritable projet de société dans lequel favoriser une natalité française est un outil pour faire face à la supposée « crise civilisationnelle » que nous traversons.

Le droit des femmes à être avant tout… de bonnes mères

Plusieurs amendements à la réforme des retraites  révèlent une autre dimension du projet RN : un conservatisme moral qui promeut le modèle de la famille nombreuse et de la femme au foyer. Ainsi, l’amendement n° 923 propose de mettre en place une allocation maternelle de prévoyance de 2.520 € nets mensuels à compter du troisième enfant (soit le niveau du salaire net moyen dans notre pays). L’amendement ne dit pas si cette prestation serait permanente ou temporaire et, dans ce dernier cas, pour quelle durée. Faute de précisions (comme souvent, hélas…), l’hypothèse la plus probable est que cette prestation soit conçue pour être permanente aussi longtemps que les enfants n’auraient pas atteint leur majorité. Un tel dispositif serait une puissante incitation, en particulier pour les femmes les moins qualifiées qui ne pourraient pas espérer des revenus d’activité comparables, à sortir durablement du marché du travail, faisant baisser d’autant leurs contributions à la solidarité collective et notamment leurs cotisations au régime de retraite. On ne parle pas ici des cotisations de leurs enfants lorsqu’ils seront devenus adultes, mais bien des cotisations présentes dont le système par répartition a besoin dès maintenant. En outre, une moindre participation des femmes au marché du travail se traduirait bien évidemment par une perte d’autonomie et d’indépendance des intéressées, mais aussi par une perte de main d’œuvre pour le tissu productif. Dans un pays vieillissant où les secteurs en tension de recrutement sont nombreux (notamment dans les métiers de services aux personnes), cette politique risque au final de creuser… un besoin d’immigration de travail ! Il n’est pas certain que les élus RN se féliciteront alors des conséquences de leurs passions familialistes. Ainsi, ce genre de mesures serait de nature à compromettre le délicat équilibre que les politiques publiques françaises ont réussi à construire depuis plusieurs décennies pour permettre aux femmes de concilier vie active et construction d’une famille. Or, c’est précisément cet équilibre qui a permis à la France d’avoir l’un des taux de natalité les plus élevés d’Europe contrairement à certains de nos voisins, notamment l’Allemagne, qui n’avaient pas fait cet effort.

Les élus RN souhaitent aussi qu’un rapport soit réalisé pour mesurer l’effet sur la natalité de l’attribution d’un trimestre de majoration – dans le calcul des retraites – pour maternité (Amendement n° 19556). En s’adressant spécifiquement aux mères, ces mesures sont en réalité empreintes d’un jugement moral qui dicte discrètement aux femmes ce qu’elles doivent faire de leur temps, de leur corps et de leur vie.

Ce conservatisme moral apparaît très clairement dans la proposition de loi « visant à créer un congé de naissance à répartir entre les parents pour une durée totale de douze mois après la naissance de l’enfant ou des enfants », portée par le député RN M. Sabatou en novembre 2022. Allonger les congés de naissance a un effet très clair sur le marché du travail et défavorise l’emploi des femmes qui prennent souvent des congés maternités plus longs que les hommes – la proposition de loi ne précisant pas comment les douze mois sont répartis entre les deux conjoints. De plus, l’exposé des motifs de la loi multiplie les jugements moraux et prône, avec emphase, un ordre familial d’un autre temps : « La naissance d’un enfant est source d’un intense bonheur qui ne devrait pas s’accompagner pour la mère d’un immense stress à l’idée de se séparer de son nouveau-né à deux mois et demi. » En préconisant l’allaitement et le choix de garder son enfant plutôt que de le mettre à la crèche, cette loi essentialise les femmes dans un rôle de mère traditionnel, dévouée à leurs enfants et dont le bonheur comme le stress sont directement liés à ce statut.

Le RN défend en somme le droit des femmes… à rester chez elles et à être de « bonnes mères ». Les propos du député RN Jocelyn Dessigny, déjà sanctionné pour propos sexistes à l’Assemblée nationale, résument parfaitement ces idées. En septembre 2023, lors des débats sur la loi Plein-emploi conditionnant les aides sociales à des heures d’activité, il déclare :« Nous partons du principe qu’une mère au foyer, elle est peut-être mieux à la maison à s’occuper des enfants. » (Alternatives Economiques – Le Rassemblement national contre le droit des femmes). L’inégalité entre les hommes et les femmes est justifiée ici par une essentialisation des femmes profondément sexiste. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le droit des femmes à disposer de leur corps. Comme l’explique l’historienne Mathilde Larrère, les mesures natalistes s’inscrivent dans une temporalité bien plus longue du contrôle sur les ventres des femmes. « Faites des mômes, ou n’en faites surtout pas, faites en tout cas ce que l’on vous dit ! Deux siècles d’injonctions et de politiques qui mêlent encouragement et répression », écrit-elle dans un tribune pour l’Obs en 2024.

Alors que la France avait réussi, ces dernières décennies à maintenir un taux de natalité très supérieur à la moyenne européenne non pas en bridant la liberté des femmes mais au contraire en leur permettant de concilier au mieux accès au marché du travail (et donc à l’autonomie) et vie familiale, et en s’efforçant de soutenir les progrès de l’égalité entre les hommes et les femmes, la mise en œuvre du projet nataliste du RN, à contre-courant de toutes les évolutions sociétales et culturelles, risque de ruiner cet édifice qu’il faudrait au contraire parfaire. Loin d’atteindre ses fins en matière de natalité et d’équilibre des comptes sociaux, le RN ne réaliserait ici que ses fantasmes xénophobes et sexistes.

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