Protestataire ou euro-critique ? La stratégie européenne de La France Insoumise

Protestataire ou euro-critique ? La stratégie européenne de La France Insoumise
Publié le 15 mai 2024
  • Diplômé en Administration Publique de Sciences-Po Paris (promotion 2018)
Laissant peu d’espace à sa tête de liste Manon Aubry, Jean-Luc Mélenchon a décidé d’accorder une large place dans la campagne européenne à la question palestinienne. Décalée vis-à-vis des sujets européens, cette stratégie agressive, faite pour cliver, inquiète légitimement une partie de l’électorat de gauche et ne possède sans doute pas le potentiel mobilisateur que semblent lui attribuer les stratèges du parti.
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En centrant sa campagne des élections européennes sur le conflit entre Israël et le Hamas, La France Insoumise choisit délibérément un thème sur lequel le Parlement européen est en réalité peu compétent. L’UE ne fournit pas d’armes à Israël (le débat relève des choix nationaux sur ce sujet) et n’a pas, contrairement à d’autres partenaires, suspendu son aide humanitaire aux Palestiniens ou à l’UNRWA. Le Haut-Représentant, chargé des questions internationales, n’est pas désigné par les députés européens mais par les vingt-sept exécutifs des États-membres.

Le choix de ce thème de campagne se distingue des stratégies des autres mouvements de gauche dans le scrutin : tous partagent une vision critique de l’Union Européenne, une volonté de la changer, mais seule La France Insoumise choisit pour le moment d’axer sa campagne sur cet enjeu extérieur. Un enjeu extérieur bien particulier, puisque l’Ukraine n’est jamais évoquée en dehors d’une demande de cessez-le-feu qui n’est pas spécifiée, et que la stratégie de l’UE dans les Balkans ou en Birmanie, terrains où son aide internationale et humanitaire pèsent tout particulièrement, ne se voit pas débattue. Que cette mobilisation sincère passe par une stigmatisation des hommes politiques et journalistes vus comme favorables à Israël, par une dépréciation du député socialiste Jérôme Guedj, par des attaques déplorables contre le président de l’Université de Lille et par une absence complète de compassion pour les otages encore détenus par les Hamas trouble légitimement une partie de son électorat, et explique en grande partie la désaffection à gauche pour LFI en vue du scrutin du 9 juin.

Sortir des traités ou leur désobéir

Sur la question européenne, La France Insoumise a défendu, lors la campagne présidentielle de 2017, une position de sortie des traités, à savoir la non-application de certaines normes budgétaires et l’utilisation de la menace de sortie de l’UE pour imposer le point de vue français. Le poids économique et politique de la France devait, selon les stratèges du parti, empêcher une réaction ferme des instances européennes et des exigences d’ajustements comme celles qu’eurent à subir la Grèce ou le Portugal dans les années 2010. Au cours de la présidentielle 2022, cette menace de sortie se transforma en stratégie de désobéissance, envisagée selon plusieurs points :

         – Utilisation d’un droit de veto de la France. Un outil légitime dont l’usage est cependant limité, depuis quarante ans, par la réduction du nombre des décisions réclamant l’unanimité dans l’UE par rapport à celles se réglant à la majorité qualifiée. Une telle option peut s’envisager lors de la négociation du Pacte Financier Pluriannuel, qui est cependant fixé jusqu’à 2027, mais elle ne dépend nullement des députés européens : ce sont les exécutifs nationaux qui en ont la compétence (il faudrait donc attendre l’action d’un hypothétique Président de la République « insoumis » pour peser sur ce sujet).

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         – Le conditionnement de la « part excédentaire » de la contribution française au budget communautaire. La formule est tendancieuse et laisse entendre que la France prendrait plus que sa part à l’effort européen. Une telle somme est évidemment très difficile à estimer, les institutions de contrôle parlant plutôt de taux de retour des dépenses de l’UE, la France touchant bien plus sur la politique agricole commune (PAC) que sur les fonds structurels (FEDER) ou le FSE. Se placer dans une logique de « juste retour » équilibrant strictement la contribution française à ce qu’elle reçoit de l’UE reviendrait à diminuer le budget européen. Couper l’ensemble des sommes dépassant ce taux de retour affecterait toutes les politiques européennes, pénalisant au passage l’agriculture, la recherche ou les étudiants français en Erasmus.

         – Privilégier de nouvelles coopérations au projet européen tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Cette vision de « l’Europe projet », citant Airbus et Erasmus parmi les réussites à imiter1, c’est-à-dire des réalisations qui ne procèdent pas de l’intégration légale et commerciale en place depuis 1957, est partagée par la plupart des partis eurosceptiques qui ne peuvent nier de tels accomplissements (c’est, sur ce point, une convergence entre La France insoumise et le Rassemblement national). Elle permet de donner l’illusion que « l’essentiel », ou une part visible du projet européen, pourrait survivre au conflit politique que la France ouvrirait alors avec la Commission Européenne.

         – Une mobilisation citoyenne pour créer une légitimité politique. L’idée qu’il serait nécessaire de trouver dans des mobilisations « populaires » une légitimation supérieure à celle du suffrage peut surprendre de la part de candidates et de candidats à des élections. En outre, comment créer une dynamique en France sur des sujets européens, dans un contexte où seuls, depuis quinze ans, quelques projets de traités de libre-échanges (ACTA, TAFTA, CETA) ont mobilisé dans les rues ?

         – L’utilisation de minorités de blocages, d’abstentions constructives ou le boycott d’instances ou de réunions.

         Au total, La France Insoumise semble vouloir appliquer à grande échelle le projet que la Grèce d’Alexis Tsipras ne put pratiquer au cours du premier semestre 2015 et qu’elle finit par abandonner au grand dam de la gauche radicale de l’ancien ministre de l’économie grec Yanis Varoufakis qui en resta longtemps le porte-drapeau.

Cette stratégie d’opposition n’échappe pas à plusieurs paradoxes quant à sa mise en œuvre. Le premier consiste à critiquer l’UE telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, c’est-à-dire en réalité de façon essentiellement intergouvernementale, en réclamant davantage de pouvoir pour chaque État-membre, tout en proposant de renforcer les pouvoirs du Parlement. En 2024, La France insoumise propose de renforcer le pouvoir législatif (le Parlement) mais son programme ne pourrait pas se mettre en place sans le soutien de plusieurs gouvernements alliés. Or La France Insoumise se présente aux prochaines européennes dans un contexte où aucun de ses alliés ne participe à un exécutif en Europe, hormis Sumar en Espagne mais dans une coalition dominée par le PSOE, et où plusieurs partis membres de leur groupe GUE au Parlement pourraient connaître des scores décevants si l’on en croit les sondages récents pour Die Linke en Allemagne ou Podemos en Espagne (le nouveau parti populiste de gauche de Sahra Wagenknecht en Allemagne ne participera sans doute pas à ce groupe).

Au sein du Parlement Européen, l’influence de LFI fut à la mesure de son faible score aux élections de 2019, lesquelles donnèrent à son groupe, la Gauche Européenne, à peine plus de quarante eurodéputés (trente-sept aujourd’hui après plusieurs départs). Cet état de faiblesse politique limite l’influence de La France Insoumise, membre d’un groupe peu décisif lors des scrutins au Parlement. La stratégie de rupture proposée par le mouvement à partir de 2017 se heurte, de fait, à une Union Européenne fondée sur le compromis à vingt-sept, et où deux institutions, la Commission et le Conseil, dépendent des exécutifs nationaux plutôt que du résultat des élections européennes. Enfin, la réalité du Brexit depuis la fin janvier 2021 empêche de rendre attractive l’idée d’une sortie de l’UE, celle-ci fût-elle « de gauche ».

La crise économique de 2020 et la suspension des règles du Pacte de Stabilité, suivies du Plan de Relance et de l’émission commune de dette à vingt-sept États-membres, ont rendu largement obsolètes les critiques keynésiennes traditionnelles contre une UE jugée acquise à l’ordolibéralisme allemand et foncièrement hostile à toute relance budgétaire. La France Insoumise répond à ce cuisant démenti de l’expérience – la mise en place d’une politique européenne différente de celle qui avait prévalu pour faire face à la crise des dettes souveraines post-2008 – par la critique d’un retour à l’austérité depuis 2023 au sein de l’Union. Elle a ainsi voté, avec les députés européens socialistes et écologistes français, contre le nouveau cadre d’harmonisation budgétaire entre les États-membres lors de la session plénière du 23 avril dernier. Cette position ignore toutefois que la rigueur et les ajustements correspondent bien souvent aux positions des Gouvernements nationaux, et que le virage à droite, en Italie, en Finlande et en Suède, s’est accompagné de coupes budgétaires et de diminutions des droits sociaux que l’UE n’a ni prônées ni exigées depuis 2019.

La transparence des votes

         Après la sortie des traités en 2017 et la désobéissance en 2022, quels changements institutionnels La France Insoumise propose-t-elle dans son programme pour les prochaines européennes de juin 2024 ?

         – Une transparence des votes au Conseil Européen et au Conseil de l’Union Européenne. Ce point est sans doute le plus louable du programme, étant donnée l’absence de responsabilité du Président de la République en France, seul chef d’État négociant la position de son pays au Conseil Européen, qui ne rend compte de sa position ou de ses changements d’opinion que devant la presse, alors que les autres membres du Conseil sont des chefs de gouvernement responsables devant leur Parlement. Plus encore, la pratique actuelle au Conseil, où les citoyens ne savent ce que votent les pays sur certains textes que par les indiscrétions des journalistes basés à Bruxelles, n’est pas acceptable démocratiquement.

         – Rendre public le vote d’investiture du Président de la Commission. Cette proposition se comprend mal dans la mesure où les députés européens votent déjà en scrutin public sur l’ensemble de la Commission, ce qui peut fragiliser certaines investitures comme celle de la Commission Von der Leyen, approuvée à neuf voix près et avec de nombreuses oppositions parmi les partis sociaux-démocrates fondant pourtant sa majorité. S’agit-il de remplacer la désignation au consensus de la tête de la Commission par les vingt-sept exécutifs par un vote d’investiture comme peuvent le connaître d’autres régimes parlementaires ? Il est cependant difficile de comprendre ce qui distinguerait cette procédure du vote par le Parlement sur l’ensemble de la Commission après sa désignation, surtout dans la mesure où chaque commissaire est déjà approuvé par un vote (ce qui empêcha par exemple la désignation de Sylvie Goulard en octobre 2019). Cet idéal paraît toutefois se rapprocher d’une tradition révolutionnaire issue de la Première République, d’un exécutif en permanence responsable devant le législatif et révocable à tout moment, ainsi que le privilégie LFI.

         – Une transparence sur les trilogues, négociations entre la Commission, le Conseil et le Parlement pour aboutir aux textes de compromis. Cette transparence existe en partie aujourd’hui grâce aux travaux des journalistes basés à Bruxelles qui relatent les négociations de dernières minutes et les positions changeantes des États-membres. Les textes issus des trilogues sont d’ores et déjà publiés, puis débattus et adoptés par le Parlement.

         – « Acter l’échec de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe et proposer une nouvelle méthode avec l’activation de l’Article 48 pour refonder les traités européens ». La méthode ne paraît pas nouvelle, puisque l’Article 48 du TUE expose la procédure classique de refonte des traités… Ce que la Conférence sur l’Avenir de l’Europe a précisément tenté de renouveler. Cette ligne se comprend au mieux comme une critique envers Emmanuel Macron et un constat de la stagnation du processus de réforme initié via cette Convention.

         – Des réformes fiscales ou budgétaires. Les propositions de LFI sont ici assez consensuelles puisqu’elles se rapprochent des idées défendues par les élus sociaux-démocrates ou écologistes dans la plupart des États-membres : taxe sur les transactions financières, impôt sur la fortune à l’échelle de l’UE, fin des rabais pour certains États-membres.

– La modification du mandat de la BCE. Egalement souhaitée par La France insoumise, cette initiative serait impossible sans révision des traités, ce qui questionne une fois de plus la cohérence du programme européen de LFI. Ses eurodéputés doivent-ils servir d’avant-garde à Bruxelles ou Strasbourg dans l’attente de l’élection d’un candidat de ce parti à la Présidence de la République en France ?

Un jalon de la stratégie présidentielle de Jean-Luc Mélenchon

Toutes ces propositions ne sont pas de nature à mobiliser un électorat peu enclin à voter aux Européennes, ce qui explique la focalisation sur la cause palestinienne, qui permet de cliver politiquement et d’exister médiatiquement. Au total, la stratégie de LFI consiste à négliger les enjeux des élections européennes et le rôle du Parlement pour faire de ces élections une étape de l’élection présidentielle de 2027. Cette stratégie ressemble à celle du Rassemblement National. La tension entre un mouvement se présentant comme pouvant gouverner et une idéologie ne prônant que la rupture avec le cadre institutionnel est patente. L’impossibilité d’une reproduction de la NUPES à l’échelle européenne pénalise la volonté hégémonique de LFI sur la gauche française. Transposer à Bruxelles et Strasbourg les stratégies d’insurrection parlementaire conduites à Paris ne peut tenir lieu de méthode, vu la faiblesse numérique du groupe. Par ailleurs, les reproches sur une UE « opaque » sonnent creux vu le contrôle budgétaire et journalistique qui prévalent dans cette institution… Et surtout, compte tenu de la bien plus grande opacité du fonctionnement interne de LFI.

         Ces postures sont par ailleurs en décalage avec la pratique des eurodéputés Insoumis au Parlement européen. Un relevé de plusieurs votes récents au Parlement Européen montre en effet que la radicalité affichée par LFI n’exclut pas l’approbation de certains textes :

         – LFI a voté pour la directive modifiant les droits des travailleurs des plateformes, tout comme tous les membres présents du groupe GUE ;

         – LFI a voté en faveur de la nouvelle directive sur les emballages, à l’instar de son groupe sauf cinq abstentions et un contre ;

         – LFI a validé les nouvelles règles sur la réparabilité des produits, tout comme l’ensemble de son groupe ;

         – LFI et tous les membres de GUE ont adopté l’interdiction des importations de marchandises issus du travail forcé, et les nouvelles directives sur le miel, les confitures et les jus de fruits ;

         – Les eurodéputés de ce parti ont également voté pour la création d’un Code douanier et d’une Autorité douanière de l’UE, pour les règles de performances énergétiques des bâtiments et pour la directive sur les émissions de carbone du secteur.

         LFI se trouve dans une hésitation stratégique entre rupture et participation. Le mouvement et son groupe au Parlement se veulent radicaux mais servent de fait de force d’appoint à gauche lors de nombreux scrutins, dans une position marginale depuis cinq ans dans l’hémicycle, la Commission comptant bien plus sur les centristes et les écologistes pour faire adopter certains textes.

Toutefois, les différents sujets sur lesquels les eurodéputés LFI ont apporté leur soutien n’étant guère « porteurs » électoralement c’est sur ses positions de principe que LFI concentre sa communication et son positionnement idéologique : refus du nouveau Pacte de Stabilité, refus des nouvelles procédures communes sur l’asile… Cette attitude est beaucoup plus cohérente par ailleurs avec ce que LFI cherche à incarner dans le contexte hexagonal : une force de rupture avec le cadre institutionnel et parlementaire de la Ve République, voire un parti aux accents insurrectionnels, très éloigné du jeu institutionnel ordinaire des majorités variables et des coalitions d’opportunité qui sont le quotidien de la plupart des groupes qui prennent part au processus législatif à Bruxelles et à Strasbourg. La stratégie d’entrisme dans les institutions, d’obstruction parlementaire voire d’insurrections au sein de l’hémicycle, fonctionne beaucoup moins bien dans une UE où la France et ses députés d’extrême-gauche forment une minorité qu’au Palais Bourbon où le groupe des Insoumis est le second groupe d’opposition. Mais jouer la radicalité au cours d’une campagne électorale paie selon LFI, tout comme, selon sa stratégie interne, l’axe de sa communication focalisée sur Gaza depuis les premiers meetings. Est-ce uniquement parce que ses électeurs, suivant aussi peu les affaires européennes que beaucoup d’autres, ne connaissent pas son travail au Parlement Européen ou n’attendent de lui qu’une opposition systématique, même si elle ne correspond pas à la pratique effective des eurodéputés insoumis ?

Il est ainsi regrettable que Manon Aubry, impliquée depuis cinq ans sur les questions budgétaires ou sur la création d’un devoir de vigilance pour les grandes entreprises, passe au second plan d’une campagne de plus en plus centrée sur Gaza et incarnée par un homme, M. Mélenchon, ne prévoyant pas de devenir député européen. Parmi les colistiers, seule Rima Hassan, défendant des positions pro-palestiniennes affirmées, est mise en avant, au détriment de l’inspecteur du travail Anthony Smith ou de Damien Carême, élu local et transfuge du groupe écologiste qui devait représenter la convergence entre les Insoumis et la transition climatique. Ce faisant, les aspects sociaux et écologiques du programme insoumis sont pour l’instant effacés dans la campagne, ce qui pourra inciter certains électeurs à privilégier les listes de Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint le 9 juin.

         L’impensé européen de LFI tient au refus d’un choix clair de réformer l’UE de l’intérieur, comme le ferait n’importe quel parti de gauche dans tout État-membre, au profit d’une proclamation d’une rupture à court terme, qui ne peut pas advenir tant que ce parti ne gouvernera pas la France – et qui, même dans ce cas, nécessiterait des partis alliés dans plusieurs exécutifs européens, perspective aujourd’hui très improbable.

Le retour de Jean-Luc Mélenchon à la proue de la campagne en lieu et place de sa tête de liste, Manon Aubry signale à la fois la volonté de personnaliser les débats et le désir d’en nationaliser les enjeux. En effet, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais été très investi dans les questions européennes : son activité dans le cadre de ses mandats passés d’eurodéputé n’a pas laissé beaucoup de souvenirs aux observateurs. Surtout, il a clairement théorisé le fait que ces élections européennes étaient à ses yeux « le premier tour de la présidentielle de 2027 », marquant clairement le caractère étroitement national de son intérêt dans cette campagne ainsi que ses visées personnelles. Enfin, le sujet qu’il met en avant de manière répétitive – Gaza – comporte une résonnance électoraliste nationale et donne lieu à des attaques personnelles et des slogans antisémites qu’il serait naïf d’ignorer. L’enjeu parle en effet particulièrement à deux composantes de son électorat : les jeunes diplômés urbains, qui n’auraient pas d’autre choix à terme que de voter insoumis, et les citoyens français de confession musulmane des banlieues les plus déshéritées, tels que M. Mélenchon les interprète idéologiquement. Ceux-ci cependant se sont mobilisés précédemment pour LFI et, plus particulièrement en faveur de Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2017, quand ce vote leur paraissait le plus utile à titre défensif contre l’extrême-droite. Mais un tel choix stratégique a pu se porter, à d’autres occasions, sur d’autres candidats et ne peut être interprété comme une adhésion de fond aux positions de LFI. La jonction de ces deux électorats autour de la cause palestinienne reste en outre à ce jour hypothétique. Elle n’est possible qu’à la condition d’occulter nombre de sujets qui éloignent idéologiquement ces groupes, en particulier la question féministe.

Son pari risque en outre de s’avérer perdant, pour plusieurs autres raisons. La première est qu’il n’est pas le seul à jouer la carte de la nationalisation du vote. C’est également la stratégie du RN qui considère les prochaines européennes comme des midterms (des « élections de mi-mandat », a déclaré Jordan Bardella) avec le projet d’exiger une dissolution de l’Assemblée nationale en cas de forte avance face aux macronistes. Et, a priori, c’est plutôt le RN qui a l’avantage sur ce terrain aujourd’hui.

La deuxième raison est que parler quasi-exclusivement de Gaza et de cessez-le-feu ne peut pas satisfaire les électeurs de gauche qui voudraient aussi que le parti expose ses positions sur l’écologie, les inégalités, le budget de l’UE, etc. C’est sans doute l’une des explications des transferts de voix d’une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2022 vers la liste conduite par Raphaël Glucksmann pour le PS et Place publique en 2024.

La troisième raison est que se présenter uniquement comme un parti contestataire néglige les nombreux votes constructifs que LFI a pu donner sur certains dossiers, cependant que le possible insuccès des partenaires du groupe GUE laisse douter les électeurs potentiels de l’utilité de choisir ce mouvement le 9 juin prochain en France.

Les 6,3% obtenus en 2019 constituent-ils un socle, ou l’abandon apparent de tout thème promu en dehors de la Palestine détournera-t-il les électeurs jusqu’à faire osciller le parti autour des 5% (seuil de l’éligibilité) au risque de disparaître du Parlement européen ? La stratégie d’une mobilisation des banlieues et quartiers populaires en tant que masse électorale pouvant compenser les faibles scores auprès des classes moyennes ou dans les territoires ruraux est une nouvelle fois reproduite. Cependant, force est de constater que, contrairement à une élection présidentielle, LFI ne peut plus jouer à gauche le rôle du vote utile, tant le scrutin proportionnel permet aux électeurs sociaux-démocrates et écologistes de se voir pleinement représentés au Parlement Européen.

La mobilisation autour de Gaza ne constitue pas une doctrine diplomatique, surtout devant les buts maximalistes de certains manifestants, ou certains slogans antisémites proférés dans les rassemblements. Enfin, cette position uniquement pro-palestinienne se fonde sur l’hypothèse d’un potentiel mobilisateur de ce sujet parmi l’opinion, ce qui est loin d’être certain, même pour les jeunes électeurs.

         La rupture et la radicalité toujours prônée, son esprit constructif nié contre l’évidence… Jusqu’à ne plus pouvoir siéger ?

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Louis Andrieu