C’est peu dire que l’exécutif s’est mis dans une impasse. Au terme d’une procédure parlementaire puissamment verrouillée, toutes les voies de sortie étaient fermées pour le Président de la République. La dissolution ? Elle serait certainement perdante. Un référendum ? Les chances de victoire sont à peu près nulles. Un remaniement ? Pour faire quoi et surtout avec qui ?
Le chef de l’Etat est donc venu devant les Français les mains vides, avec pour seul et unique message : on continue ! Le sous-texte était clair : les manifestants se lasseront bien de battre le pavé pour rien, les grévistes de perdre de l’argent et les activistes de l’ultra-gauche de brûler des poubelles après le dîner. A la fin, les institutions auront démontré une nouvelle fois leur implacable efficacité pour imposer les vues de l’exécutif à un Parlement divisé, des syndicats unanimement hostiles et un pays clairement réfractaire. Tel est le pari présidentiel.
Un pari très risqué. D’abord parce qu’il risque de s’abîmer dans la violence : quand les voies ordinaires de la délibération démocratique ne permettent pas de régler ou d’atténuer un conflit, c’est dans la rue qu’il se termine, offrant un exutoire aux colères en même temps qu’une scène aux pulsions les plus désolantes. Au moment où nous écrivons, la messe est loin d’être dite.
Ensuite parce que cette attitude fait fi de l’amertume accumulée dans des segments de la population qui, n’en déplaise à une gauche naïvement euphorique, voteront demain sans doute plus facilement pour l’extrême droite, si l’on en croit les analyses de Bruno Palier et Paulus Wagner. Pendant que les Insoumis déroulent leur logique de combat sans prendre la mesure de leurs nouvelles responsabilités, comme l’analyse Gérard Courtois, le Rassemblement national, lui, continue à utiliser méthodiquement sa présence au Parlement pour se rendre respectable tout en consolidant ses fondamentaux xénophobes, comme le montrent Annalivia Lacoste et Thierry Pech.
Enfin et surtout, l’attitude du Président ne règle rien à la « crise de régime lente » que nous vivons depuis plusieurs mois. Croire que les institutions auront ici démontré leur solidité, c’est prendre ses désirs pour des réalités. En vérité, la séquence aura surtout montré qu’on peut en faire un usage parfaitement légal et cependant contraire à l’esprit de la démocratie, comme le souligne le constitutionnaliste Denis Baranger. A trop contraindre la discussion parlementaire, analyse-t-il, on ne la rationalise pas : on la dérègle – et c’est la Constitution qui en souffre.