Le message des urnes

Le message des urnes
Publié le 11 juillet 2024
Quel est le message des Français aux législatives ? De trop nombreux responsables politiques l’ont rapidement détourné à leur profit, en revendiquant « la victoire » comme si un quelconque vote d’adhésion avait été possible sous la menace de l‘arrivée du RN au pouvoir et l’obligation de se plier, une fois de plus, à la discipline républicaine. Après un vote de front républicain, seul un gouvernement d’union républicaine peut répondre aux vœux des Français.

Dimanche soir 7 juillet, il n’aura pas fallu plus de cinq à dix minutes aux élus de l’arc républicain pour oublier l’essentiel : la plus grande partie d’entre eux devaient leur élection aux voix de leurs adversaires.

Une semaine plus tôt, 306 circonscriptions sur 501 risquaient de se jouer dans une triangulaire qui aurait placé le Rassemblement national dans la position la plus confortable. Les caciques du parti de Marine Le Pen qui avait si longtemps dénoncé le mode de scrutin majoritaire allaient de studios en plateaux se félicitant de « l’effet amplificateur » de son second tour pour leurs candidats. Bénissant un système qui les avait si souvent relégués aux marges de la représentation nationale, ils se délectaient par avance d’une victoire qui semblait à présent leur tendre les bras. Dans le même temps, les esprits forts s’employaient à décourager les derniers artisans d’un front républicain où ils voyaient les habits surannés d’une « gauche morale » et une stratégie de culpabilisation contre-productive : « Personne n’est propriétaire de ses électeurs, répétaient-ils à l’envi, les gens sont las de ces manœuvres, ils feront ce qu’ils voudront, et plus vous leur direz quoi faire, plus ils feront le contraire ».

Au lendemain du premier tour, dans un sursaut historique, 217 candidates et candidats se retiraient pourtant de la course en moins de 48 heures afin de faire battre le Rassemblement national. Devant cette vague exceptionnelle de désistements, les mêmes esprits forts instillaient encore le doute, expliquant que ces mouvements d’appareil se fracasseraient sur la réalité de reports de voix particulièrement dégradés, comme l’avaient montré les élections législatives de 2022. Le vent se mit cependant à tourner. Les enquêtes sur les intentions de vote virent s’éloigner le spectre d’une majorité absolue pour le Rassemblement national, puis s’améliorer progressivement les reports de voix au second tour en dépit des ambiguïtés persistantes de nombreux responsables politiques.

Quelques jours plus tard, des millions de Françaises et de Français allaient aux urnes pour soutenir une nouvelle fois un candidat du bord opposé : dans les innombrables duels du second tour, des électeurs et des électrices LFI votaient Renaissance, Modem, Horizons, voire LR ; des électrices et des électeurs Renaissance votaient PS, Verts, voire LFI ; etc. Le résultat de cet admirable mouvement civique est connu : non seulement le Rassemblement national n’a pas obtenu la majorité absolue qu’il convoitait, mais il a fini en troisième position derrière le Nouveau Front Populaire et Ensemble.

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Nous aurions dû applaudir cet élan de solidarité républicaine d’un peuple pourtant bien las du « vote utile » et maintes fois échaudé par ses résultats. Nous aurions dû saluer avec émotion et gratitude cet ultime effort sur soi-même de millions d’électrices et d’électeurs qui, alors même qu’ils auraient eu bien des raisons de jeter l’éponge, avaient une nouvelle fois préféré la République à leur candidat, et leur pays à leurs colères. Celles et ceux qui ont eu le courage de se désister et, plus encore, celles et ceux qui se sont massivement reportés sur le candidat républicain le mieux placé ont été finalement bien mal récompensés de leur esprit de responsabilité. Non seulement leur abnégation mérite d’être saluée, mais c’est elle qui « oblige » désormais les élus à prendre à leur tour leurs responsabilités. Or, à peine les résultats connus, par une sorte de transsubstantiation douteuse, ces voix de barrage se transformèrent instantanément en voix de soutien : chacun fit mine de compter l’ensemble de ses suffrages comme autant de gestes d’adhésion à son programme et à ses propositions, la stricte signification légale du vote l’emportant sur sa véritable valeur démocratique. Chacun dissimula ainsi l’évidence qui sautait pourtant aux yeux de tous : ce scrutin avait été transformé en référendum. La question à laquelle les Français venaient de répondre n’était pas : « Par qui voulez-vous être gouverné ? » mais : « Voulez-vous l’être par le Rassemblement national ? » Et la réponse des deux tiers des électeurs fut massive et sans aucune appel : non ! Le message qui peut être retenu de ce scrutin n’est donc pas que le peuple français souhaite voir s’appliquer à présent le programme du NFP ou celui d’Ensemble. Le seul mandat qui en a résulté est au contraire que le peuple français souhaite voir se réaliser un gouvernement à l’image du sacrifice qu’il vient de consentir : un gouvernement d’union républicaine. A charge pour ses représentants d’en définir à présent le contour et le programme. Mais cela ne peut passer que par une coalition. La demande objective du peuple à ses représentants est : faites à présent l’effort que nous avons-nous-mêmes consenti à votre demande pour écarter le Rassemblement national du pouvoir, rassemblez-vous !

On peut encore espérer qu’un tel scénario l’emporte. Mais il parait à ce stade hors de portée et il faudra pour cela lutter contre les égoïsmes partisans et l’ingratitude démocratique qui s’étalait avec satisfaction dimanche soir sur les plateaux de télévision. La force des choses (et des nombres) contraindra sans doute les députés à s’entendre, apprenant ainsi les rudiments de la vie parlementaire. Mais plus ils tarderont à se rendre à l’évidence, plus ils donneront un spectacle déconcertant pour les électeurs et plus ils feront courir à la nation le risque du chaos.

Beaucoup disent cependant qu’une large coalition rendrait un service inespéré au Rassemblement national car celui-ci se trouverait alors en situation d’incarner seul l’alternance lors de la prochaine élection. La coalition serait ainsi le marchepied final de l’irrésistible ascension du RN vers le pouvoir. Autrement dit, pour servir la cause républicaine, il serait bon et sain de reprendre sans délai les vieux réflexes des joutes politiques habituelles. Ce sophisme ajoute la perversité à l’ingratitude.

Car le terreau idéal du RN n’est pas dans un gouvernement de coalition mais bien davantage dans le chaos qui résulterait immanquablement du business politique as usual. D’ici deux ou trois gouvernements éphémères et autant de motions de censure adoptées, le RN pourra parader avec un air de sagesse au milieu des décombres : « Nous vous l’avions bien dit. Cette élection vous a été volée par quelques manigances. Ces gens sont incapables de s’entendre pour vous défendre : ils ne pensent qu’à leurs minables intérêts de boutique. La véritable solution d’ordre et de stabilité, c’est nous ».  

L’option d’une large coalition n’est pas seulement arithmétiquement et fonctionnellement la seule option viable. C’est aussi la seule qui soit cohérente avec le message des urnes et donc conforme à la morale démocratique.   

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Thierry Pech