La course à l’inertie

La course à l’inertie
Publié le 20 août 2024
Pendant que les Français s’enthousiasmaient cet été pour les Jeux Olympiques, la classe politique a choisi pour sa part de se livrer à un tout autre spectacle : celui de l’immobilisme calculé. Les revendications tapageuses autour du poste de Premier ministre cachent en réalité la peur de gouverner : peur de négocier avec d’autres forces politiques un programme de coalition ; peur, surtout, de compromettre ses chances lors d’un prochain duel présidentiel qu’un blocage institutionnel pourrait bien accélérer. Mais qui a intérêt à précipiter la crise politique?
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Celles et ceux qui s’intéressent à la politique et qui reviennent à peine de vacances peuvent être rassurés : la situation n’a guère évolué en leur absence et ils n’ont pas manqué grand-chose. Alors que la société a montré son meilleur visage durant des JO étincelants, alors que l’économie hexagonale a donné des signes de résilience dans un contexte européen plutôt déprimé, c’est décidément le monde politique qui apparaît désormais comme l’homme malade du pays.

Les ententes nouées à la hâte au moment des récentes élections législatives ont engendré des attelages improbables mais beaucoup plus résistants qu’on ne pouvait l’imaginer. C’est particulièrement le cas du Nouveau front populaire (NFP) qui, loin de s’être débandé au lendemain du scrutin, est resté ancré dans une intransigeance incompatible avec la formation d’une coalition de gouvernement, pourtant rendue nécessaire par la division de l’hémicycle. Ce qui devait être un simple cartel est devenu un carcan, avec tous les risques que cela comporte. De quelque façon que l’on retourne le problème, l’arithmétique parlementaire conduit en effet toujours aux mêmes conclusions : sans accord de coalition, quelle qu’en soit la forme (« contrat de coalition », « contrat législatif », etc.), tout gouvernement minoritaire restera à la merci d’une censure précoce. A défaut de majorité de gouvernement, même relative, ce sont alors les majorités d’empêchement qui imposeront leur loi : celle du chaos et de l’instabilité.

Pourquoi cet entêtement ? Pour l’état-major du Parti socialiste, la raison est assez simple. Ses responsables ont chèrement acquis leur droit à figurer à nouveau dans les cortèges des manifestations et à revenir dans le cœur du jeu parlementaire. Ils ne comptent pas liquider ce fragile avantage en s’aventurant dans les périls d’une équipée avec les centristes qui pourrait les conduire à être sanctionnés lors des prochaines élections. Au fond, le bon score obtenu aux élections européennes par la liste sociale-démocrate emmenée par Raphaël Glucksmann (13,8%, soit 4 points devant la liste LFI) ne leur aura servi qu’à rééquilibrer les positions à gauche lors du partage des circonscriptions avant les législatives. Quant aux idées, en dehors de quelques concessions de principe, elles auront été pour l’essentiel liquidées dans le programme largement improvisé du NFP et, pour l’essentiel, inspiré des revendications de LFI.

Pour les Verts, le sujet est encore plus simple. Ils sont le partenaire junior du NFP. Élus le plus souvent dans des circonscriptions où ils ne sont pas grand-chose sans le soutien de LFI, ils seront les derniers à mettre l’alliance en péril car celle-ci est devenue leur assurance-vie. Sans elle, ils pourraient tout simplement disparaître du Parlement. Autrefois, ils devaient composer avec le seul Parti socialiste qui était la force pivot de la gauche ; aujourd’hui, ils doivent composer avec le Parti socialiste et LFI. Quoique plus indépendants, les élus communistes sont dans une situation assez comparable.

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LFI, enfin. L’état-major du mouvement sur lequel Mélenchon continue de régner fait, depuis le soir du second tour, comme si le NFP avait enregistré une victoire éclatante et ainsi gagné le droit de gouverner le pays sur la base de son seul et unique programme. Avec moins de 200 sièges et après avoir bénéficié des effets du front républicain, il n’en est évidemment rien mais cette intransigeance les tient à l’abri du risque de gouverner. Elle rend impossible tout compromis avec d’autres forces politiques et ancre le NFP dans une telle radicalité que tout gouvernement issu de ses rangs encourrait une censure rapide des autres forces du Parlement. Cette même censure qu’ils promettent à tout Premier ministre d’une autre sensibilité que la leur. En attendant, LFI distribue des brevets de pureté à celles et ceux qui se plient à sa loi, et les retire aussitôt à celles et ceux qui s’en éloignent. Ephémère candidate de l’alliance au poste de Première ministre, Laurence Tubiana en a fait les frais cet été.

On ne peut pas exclure que la tentation, sinon le plan, de l’état-major Insoumis soit simplement d’acculer Emmanuel Macron à la démission en mobilisant tous les moyens pour empêcher une solution d’advenir. On ne peut pas non plus exclure que le RN caresse le même espoir. Brandie par Jean-Luc Mélenchon, la menace récente d’activer l’article 68 de la Constitution pour engager une procédure en destitution du Président de la République manifeste clairement son intention. La réponse d’Olivier Faure à cette proposition a permis aux socialistes de se démarquer de la ligne mélenchoniste. Mais, d’une certaine façon, sa réponse est très exactement ce que l’état-major de LFI a envie d’entendre : la réplique « républicaine », a dit le premier secrétaire du PS, ne consistera pas à destituer le chef de l’Etat mais à faire rouler dans le panier la tête du prochain gouvernement et celle de celui qui lui succèdera. A la fin, la démonstration sera ainsi faite qu’Emmanuel Macron a créé une situation inextricable et que, si l’on veut que le système retombe sur ses pieds, il faut une nouvelle élection présidentielle.

Cette perspective doit être prise au sérieux. Mais, à supposer qu’elle vienne à se réaliser, on doit aussi faire l’hypothèse que la fragmentation est peut-être là pour durer et qu’une élection présidentielle n’entraînerait pas ipso facto dans son sillage une forte majorité présidentielle à la chambre. Le fait majoritaire qui a été la divine surprise des constituants après 1962 s’est peut-être retiré pour longtemps. C’est en tout cas l’une des questions clés de la période : l’idée que le système peut retomber sur ses pieds par la seule énergie de l’élection présidentielle est devenue très spéculative. Ce qui sépare les trois blocs, ce ne sont pas seulement des étiquettes et des postures mais bien des divergences assez tranchées. Il suffit de comparer les intentions des uns et des autres en matière budgétaire et fiscale pour le mesurer. La préparation du prochain Projet de loi de finances va d’ailleurs permettre de s’en apercevoir sans attendre.

Si tel est le cas, alors il faut faire en sorte que ce monde multipolaire soit politiquement vivable. Comment ? Certains défendront l’idée d’une nouvelle constitution et courront au devant d’une VIe République. Non seulement il n’est pas certain que la possibilité d’un tel changement de régime existe à court ou moyen terme, mais cela n’est peut-être pas nécessaire. Car ce qui fait aujourd’hui problème, ce n’est pas tant la Ve République en tant que telle, que la pratique que nous en avons depuis une soixantaine d’années. Des ajustements à la fois plus simples et plus rapides permettraient peut-être de s’adapter à la nouvelle donne, notamment en réformant le mode de scrutin législatif.

Il ne faut sans doute pas attendre de miracle de la proportionnelle, mais elle aurait pour première vertu de permettre aux partis de courir sous leurs propres couleurs (comme aux récentes élections européennes) et de ne pas devoir s’enfermer dans des alliances illusoires et incohérentes. D’une certaine façon, en favorisant un peu plus de fragmentation, la proportionnelle libèrerait les acteurs politiques de ces dépendances de voisinage qui obscurcissent le tableau et formatent à l’avance l’offre soumise aux électeurs. Ce faisant, elle les rendrait plus libres de faire des compromis par la suite en les affranchissant des ententes et autres cartels décidés avant le scrutin. Son adoption par une loi simple dès la rentrée modifierait en tout cas sérieusement les anticipations des acteurs. Or modifier leurs anticipations, c’est modifier les relations qu’ils entretiennent dès à présent entre eux.

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Thierry Pech