Friedrich Merz et Manfred Weber, un duo européen ?

Friedrich Merz et Manfred Weber, un duo européen ?
Publié le 22 avril 2025
  • Étudiante en master de sciences politiques (double-diplôme franco-allemand à Sciences Po Lille et à l'Université de Münster)
Le chancelier social-démocrate sortant, Olaf Scholz, n’a pas brillé sur la scène européenne. Son successeur, Friedrich Merz, entend redonner à Berlin un rôle central sur la scène européenne. Il peut s’appuyer sur le poids accru de la CDU/CSU au Parlement européen et sur l’influence de l'expérimenté Manfred Weber, président du Parti populaire européen (PPE). L’Allemagne s’apprête-t-elle à revenir au premier plan à Bruxelles ?

Le résultat des dernières élections législatives en Allemagne ouvre les portes de la chancellerie au leader conservateur Friedrich Merz. Les interrogations sont nombreuses sur sa politique européenne, à un moment où l’Europe doit faire face à la double menace des États-Unis et de la Russie. Une chose est sûre pour le moment, son parti, la CDU/CSU, est non seulement le plus important au Bundestag à Berlin mais également au Parlement européen, où il représente la principale délégation au sein du premier groupe parlementaire, Parti Populaire Européen (PPE), dirigé par Manfred Weber. Issus du même camp politique conservateur (Merz de la CDU et Weber de la CSU bavaroise), tout comme la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, les deux hommes politiques formeront-ils un axe majeur de la politique européenne ? Leurs stratégies vont-elles s’aligner ?

Tout d’abord, Weber et Merz disposent tous les deux d’un bagage politique qui vient des chrétiens-démocrates et ils évoluent depuis longtemps dans la sphère euro-allemande. Merz a commencé sa carrière politique en tant que député européen dans les années 1980.1 Sa carrière au niveau fédéral a ensuite été longuement bloquée par la prise de pouvoir d’Angela Merkel sur la CDU en 20022. Angela Merkel a, en revanche, favorisé les carrières d’Ursula von der Leyen et de Manfred Weber. Cependant, les relations du nouveau trio conservateur européen3 devraient être bonnes. Récemment, Merz a soutenu Weber quand il s’est présenté au poste de président du PPE.4

Les décisions prises à l’échelle de l’UE seront cruciales pour permettre à Merz de mener à bien son programme politique en matière de compétitivité, de réduction des flux migratoires, de défense ou encore de rééchelonnement des ambitions vertes5. La défense reste un domaine national mais elle est en ce moment intensément discutée au niveau de l’UE en raison de la situation géopolitique. Lors de sa campagne électorale, Merz a annoncé vouloir jouer un rôle plus important en Europe et de relancer le dialogue avec Paris. Weber et Merz se trouvent dans des positions institutionnelles différentes, ce qui peut occasionner des frictions entre eux. Merz jouera un rôle déterminant au sein du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement et Weber aura pour rôle de rallier les majorités au Parlement européen.6

En mars 2025, avant même la constitution du nouveau gouvernement à Berlin, le Bundestag et Bundesrat allemands ont déjà voté en faveur d’un paquet financier afin de renforcer la capacité européenne de défense dans la situation géopolitique tendue, en renonçant au dispositif limitant les dépenses publiques par le « frein à l’endettement ».7 De même, le représentant du groupe PPE a récemment défendu une économie de guerre en Europe, mobilisant les entreprises au-delà même des industries de défense stricto sensu.8 Les positions de Merz et de Weber sont donc complémentaires et leur proximité partisane facilitera sans doute leurs objectifs politiques.9

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Au regard de la campagne qu’il a menée pour sa réélection à la tête du PPE, Manfred Weber défendra au Parlement européen une position qui s’annonce moins verte, moins sociale et plus dure quant à l’immigration.10 La tendance est analogue avec Merz. A titre d’exemple, l’aide sociale minimale (Bürgergeld) sera réformée, tandis que des allègements fiscaux pour les entreprises sont prioritaires pour lui.11 Merz succède au « chancelier du climat » Olaf Scholz et il sera obligé, dans le cadre de sa coalition avec les sociaux-démocrates, de préserver notamment les engagements de l’Accord de Paris sur le climat et les attentes sociales d’une partie de l’électorat. Mais son parti privilégie la taxe carbone et l’innovation technologique comme réponses au changement climatique.12

Sur ce sujet, il est en phase avec le groupe PPE au niveau européen qui met en œuvre la redéfinition des ambitions affichées dans le mandat précédent autour du Pacte Vert européen. Dans un papier de position affirmant qu’il faut « plus de croissance et d’emploi, moins de bureaucratie et de surrèglementation »13, la direction du PPE a soutenu la suspension pour au moins deux ans de la mise en œuvre du CSRD et du CSDDD. Il s’agit plus concrètement de la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) qui fait partie du Pacte Vert14, la directive sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) et le règlement sur la taxonomie et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM). L’objectif du nouveau texte est d’alléger les « obstacles administratifs » réputés entraver l’activité économique.15 En 2023 déjà, Weber avait tenté de bloquer la loi sur la restauration de la nature en sortant de la majorité et en alliant ses voix à celles de l’extrême droite16. Le texte avait été adopté au bout du compte, avec une courte majorité et une ambition amoindrie.17

La progression des partis populistes d’extrême droite au sein du Parlement européen rend possible des votes communs entre un ou plusieurs des groupes qu’ils ont formés dans l’assemblée (Conservateurs et Réformistes Européens, Patriotes pour l’Europe, Europe des Nations Souveraines) et le PPE. Cette configuration est connue sous le nom de « majorité Vénézuéla »18. Cette majorité a conduit à la résolution du 23 octobre 2024 visant à construire des murs contre les immigrants, négocié par le PPE avec le CRE (où domine le parti Fratelli d’Italia de Meloni et le Pis polonais), puis adopté avec les votes des deux autres groupes d’extrême droite. Les sociaux-démocrates et les libéraux se montrent inquiets d’un risque de « rupture claire du cordon sanitaire » qui avait, jusqu’à présent, tenu les droites radicales anti-européennes à l’écart des alliances majoritaires au Parlement européen.19 Il en est de même pour l’exécutif européen puisque c’est l’alliance du PPE, des sociaux-démocrates et de RENEW qui a confirmé Ursula von der Leyen pour un deuxième mandat de présidente de la Commission.    

L’ambivalence du PPE évoque la situation analogue créée au Parlement allemand pendant la campagne électorale, quand Merz avait déposé un texte sur le sujet migratoire qui a été voté à la fois par son groupe et par l’extrême-droite. Comme Weber a testé la possibilité de rapprocher le PPE d’au moins un groupe à sa droite (ECR), Merz a accepté les voix de l’AfD pour faire passer un texte durcissant les conditions d’entrée en Allemagne. Même s’il ne s’agissait pas d’un texte de loi, cette démarche était une transgression de l’attitude traditionnelle de la CDU et a fait débat au sein même de la coalition CDU/CSU, rendant peu probable une consolidation de cette alliance sur la législature.20 Cette volonté commune de tester la possibilité d’une alliance jusqu’alors taboue rapproche les deux dirigeants, même si Merz n’ira pas jusqu’à une situation à l’italienne d’intégration de l’extrême-droite au gouvernement. Il est possible qu’à ce stade, le président du groupe PPE Manfred Weber ait « surtout voulu rendre moins théorique la possibilité de se soustraire à ses négociations traditionnelles avec S&D et Renew, via des coups de semonce essentiellement tactiques visant à renforcer son influence vis-à-vis de ses partenaires classiques davantage qu’à amorcer une stratégie politique alternative »21. Mais il est clair que sur certains thèmes, la position du PPE est beaucoup plus proche des demandes de ECR et le PPE restera tenté par une majorité Vénézuéla sur toute la durée du mandat. Cependant, au sein du PPE, les députés polonais de la Plateforme civique, parce qu’ils sont opposés chez eux aux PiS qui est présent pour sa part dans ECR, contestent vivement tout rapprochement du PPE avec ECR22.   

Friedrich Merz, en tant que Chancelier allemand, aura un poids d’autant plus important au Conseil européen que celui-ci penche désormais nettement à droite. En effet, si l’on regarde la couleur politique des chefs de gouvernement présents autour de la table du Conseil, on se rend compte que 12 sur 2723, soit presque la moitié du Conseil, viennent de partis politiques conservateurs qui sont rattachés au groupe PPE au Parlement européen.24 Il existe donc une convergence, inédite à cette ampleur, entre la majorité du PPE et celle du Conseil (les partis sociaux-démocrates, en revanche, ne sont plus représentés au Conseil que par 3 membres25).De plus, si Olaf Scholz a été un chancelier effacé au niveau européen, au grand regret de plusieurs Etats membres qui souhaitaient une Allemagne plus assertive sur la scène internationale, il est probable que dans le contexte géopolitique actuel, Merz joue un rôle de premier plan, notamment dans le format du triangle de Weimar.

A l’issue des élections de juin dernier au Parlement européen et des élections allemandes de février, les chrétiens-démocrates allemands peuvent avoir une influence majeure au niveau européen dans les années qui viennent. Cette forte influence peut s’accompagner de la consolidation du projet européen ou de la tentation de reprendre des thèmes de l’extrême droite et de rompre l’équilibre qui était installé en Europe entre les courants chrétiens démocrates, libéraux et sociaux-démocrates. Mais la décision relève en tous cas largement des chrétiens-démocrates allemands, tant à Berlin et à Bruxelles qu’à Strasbourg

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Sophie Sasse