Cette obscure clarification politique

Cette obscure clarification politique
Publié le 25 juin 2024
Lors de sa conférence de presse du 12 juin, le Président de la République a justifié le choix de la dissolution de l’Assemblée nationale par la nécessité d’opérer une « clarification politique ». Or, celle-ci n’aura pas lieu et ne peut pas avoir lieu parce que le Président a escamoté les conditions de la délibération préalable à toute clarification.
Écouter cet article
00:00 / 00:00

Si une clarification apparaît nécessaire, c’est que nous sommes dans une situation de confusion. Quel est le diagnostic de cette confusion pour le Président ? Nous l’ignorons. Pour plusieurs observateurs, la tentative du Président de gouverner, depuis sa réélection, sans majorité à l’Assemblée nationale est responsable de la confusion actuelle. Comme l’ont exprimé plusieurs parlementaires, dont la Présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet et le Président de la Commission des affaires étrangères, Jean-Louis Bourlanges, c’était une coalition en bonne et due forme qui aurait constitué une clarification. Pour la campagne législative, le Président aurait dû formuler un projet de coalition, avec un contrat de gouvernement négocié et explicite, au lieu d’en appeler à un sursaut républicain qui n’a été suivi, dans les occurrences précédentes en 2017 et 2022, par aucune contrepartie programmatique. 

La première clarification dont le pays avait besoin consistait d’abord à reconnaître la réalité de l’absence de majorité parlementaire depuis 2022. En utilisant le riche arsenal du parlementarisme rationalisé que lui offre la constitution de la Ve République, le gouvernement a pu faire mine d’ignorer cette réalité politique jusqu’à présent. Mais le résultat des élections européennes a rappelé le pouvoir à sa réalité minoritaire. Pour assurer le fonctionnement normal des institutions, la seule option ouverte au Président consistait à formuler une alliance politique garantissant une majorité parlementaire. L’aveuglement volontaire du Président devant cette option l’a conduit à un deuxième aveuglement, celui d’une dissolution précipitée, dont le résultat risque d’être encore plus catastrophique d’un point de vue institutionnel.  

Une campagne éclair ne laisse pas d’espace disponible pour mener des débats de fond et ne permettra donc aucune clarification programmatique. Le mode de scrutin des élections législatives, qui n’a pas été réformé malgré les promesses du Président d’introduire « une dose de proportionnelle », impose une mécanique implacable aux partis, les contraignant de « s’unir ou périr ». Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours vise à contraindre les électeurs à un choix binaire, qui ne laisse aucune place aux sensibilités politiques minoritaires. Avec le « fait majoritaire » qui s’est imposé depuis 1958, le mode de scrutin a éliminé de la vie politique française la construction de coalitions politiques, un savoir-faire qui a laissé la place à un esprit de parti intolérant et brutal.

A droite, le psychodrame des LR montre la difficulté de résister à la contrainte mécanique du scrutin uninominal à deux tours pour un député comme Eric Ciotti qui se présente dans une circonscription et, plus largement, une région où l’électorat de droite est depuis longtemps poreux aux thèmes de l’extrême droite.

Abonnez-vous à notre newsletter

A gauche, le début de clarification idéologique rendu possible par le bon score de Raphaël Glucksmann à partir d’une ligne politique pro-européenne a été interrompu dès le dimanche 9 juin au soir par l’annonce de la dissolution. Le programme négocié en urgence par les partenaires du Front populaire ne constitue pas une base de gouvernement crédible et exposerait une fois de plus la gauche, au cas où elle se trouverait en situation de former un gouvernement, au risque de l’alternative entre la promesse et le désenchantement.

Ce que le Président appelle « clarification » se réduit en réalité à l’arithmétique de l’Assemblée. Il souhaite obtenir enfin une majorité claire. Mais il impose aux électeurs la répétition de la même alternative sclérosante qui empêche précisément toute délibération politique : « moi ou le chaos ». Une part croissante des électeurs, sans pour autant adhérer au RN sur le fond, refusent profondément l’artifice de cette construction politique qui remplace un vote d’adhésion par un vote de chantage institutionnel. Une majorité de Français s’est pliée à l’étau politique dont Emmanuel Macron a vu depuis 2017 tout le profit qu’il pouvait tirer. Mais sa responsabilité était d’aller au-delà, et de dépasser ce choix sous contrainte. Or, il veut en profiter une fois de plus. Ce qui ne marchera probablement pas.

Au cours de sa conférence de presse, le Président a martelé son message : « la clarification, c’est maintenant », « le sursaut, c’est maintenant ». Les deux termes employés comme quasi-synonymes sont mis en équivalence alors qu’ils renvoient à des logiques politiques différentes pour ne pas dire opposées. Le sursaut, c’est un mouvement irréfléchi, réflexe, mécanique ; la clarification, ce devrait être une délibération, un choix, une adhésion. Le « sursaut » n’est pas une clarification. Le 7 juillet, nous risquons fort de n’avoir ni l’un ni l’autre.

Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

Marc-Olivier Padis