Pays-Bas : les difficultés internes d’un pilier européen

Pays-Bas : les difficultés internes d’un pilier européen
Publié le 24 juin 2024
  • Fellow Robert Schuman Centre for Advanced Studies, European University Institute, Florence
Tour d’Europe des élections. Malgré la présence d’importantes figures européennes, comme l’ancien vice-Président de la commission européenne, Frans Timmermans, les questions de politique interne, marquées par la difficile formation d’un gouvernement de coalition avec l’extrême droite, ont dominé la campagne européenne.
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Il est fort difficile de séparer la lecture des résultats aux élections Européennes des négociations gouvernementales qui dominent la politique des Pays-Bas depuis novembre 2023. Au lendemain des élections Européennes, les Pays Bas offrent un paysage politique qui confirme les grandes tendances observées lors des élections nationales du 22 novembre 2023 — mais avec quelques nuances. Si le parti de Geert Wilders (le PVV) est celui qui améliore le plus sa performance par rapport à 2019 – il passe de 1 a 6 sièges au PE – il n’arrive néanmoins qu’en deuxième position avec 17.6% du vote, derrière l’alliance ‘rouge et verte’ des verts et du parti social-démocrate (le PvdA) qui arrive en tête avec 21.6% des voix, et qui remporte 8 sièges. Côté progressiste, à cette alliance viennent s’ajouter les sièges de D66. Le centre-droite libéral (le VVD) semble se stabiliser aux alentours de 11.6% ce qui n’est pas loin de son score de novembre 2023, et les Démocrates-Chrétiens remportent 3 sièges. Enfin, le BBB (le parti des agriculteurs dirigé par la flamboyante Caroline van der Plas et qui s’était illustré par son score aux élections provinciales de 2023) a, lui, légèrement amélioré ses résultats Européens : il passe de 4.6% à 5.3% et obtient ainsi 2 sièges au parlement Européen. D’autres petits partis viennent compléter le tableau des 31 sièges alloués au Pays Bas, le système électoral néerlandais ne prévoyant pas de seuil dans cette élection à la proportionnelle.

Quels signaux forts doit-on retenir ?

D’abord, que si Wilders réussi son pari Européen bien mieux qu’en 2019, son score s’est quand même légèrement affaissé depuis le 22 novembre, dates des dernières élections nationales (le PVV remportait alors 23.49% des voix). La baisse n’est pas très significative mais elle donne peut-être quelques indices structurants.  D’abord que la difficulté de ces négociations pour parvenir à un accord de gouvernement au lendemain des élections de l’automne, a peut-être refroidi certains électeurs de Wilders :  on note que les négociations ont forcé Wilders à faire des concessions sur bon nombre de ses positions emblématiques.  L’accord qui a vu le jour reste extrêmement strict, en particulier sur le volet des politiques d’immigration, mais la rhétorique et le positionnement sur l’UE ont étés revus à la baisse. Wilders, bridé par les négociations, a notamment été forcé de lever son opposition au soutien à l’Ukraine. 

L’accord de gouvernement annoncé le 16 mai est  conclu mais sans désignations ministérielles pour l’instant (à part celui d’un Premier Ministre plutôt technocrate issu des milieux du renseignement, Dick Schoof). Une certaine fatigue électorale, et surtout la matérialisation de l’effet repoussoir de Wilders auraient-elles un peu attenter à la dynamique de celui qui a fini par renoncer au poste de Premier Ministre afin de donner une chance à l’accord de gouvernement de voir le jour ?

D’autre part, étant donné que ces négociations ont mordu sur la campagne Européenne, cette-dernière a été assez peu dynamique (même si le taux de participation à 46.2% marque une augmentation de 5 points par rapport à 2019).

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Deuxième élément marquant, les partis de gauche dont on craignait qu’ils ne soient complètement éclipsés par la coalition nationale en passe d’émerger (à droite), semblent tenir.  Il est vrai que la formation en tête (menée par Frans Timmermans, l’ex-Commissaire Européen, et grand perdant des élections de 2023 pour lesquelles il avait renoncé à son mandat au sein de la Commission) est une coalition de deux partis qui siègeront séparément au PE – mais la victoire leur revient tout de même.

Ce tableau laisse transparaitre à la fois une certaine stabilité, mais aussi une certaine fragilité.  En l’absence de nouveau signaux, les équilibres restent identiques et précaires : une coalition fragile au pouvoir – à la merci d’un de ces coups de tête dont Wilders est coutumier, des progressistes en embuscade, dans un système politique où deux des partis dans la coalition naissante datent d’il y a moins de cinq ans (moins d’un an pour le parti du contrat social créé en aout 2023) et pourraient être qualifiés de purs mouvements protestataires.  Et les deux blocs extrêmement fragmentés. Rares, donc, sont ceux qui s’attendent à ce que cette coalition dure très longtemps. 

Au niveau Européen, on ne pourra pas faire abstraction du fait que le VVD (qui fait partie du groupe PPE) et qui reste l’un des grands partis fondateurs de la vie politique contemporaine des Pays Bas, est en coalition avec un PVV qui siègera au sein d’ID – ou son successeur.  Une autre remarquable illustration de la disparition du cordon sanitaire qui pourrait avoir des conséquences dans le contexte du PE. Alors que Valérie Hayer – tête de groupe – insiste sur le fait qu’aucune décision n’a été prise concernant l’expulsion du VVD du groupe Renew (bien qu’elle s’y fût engagée avant les élections), le mauvais score des libéraux en France, et le départ en bloc des 7 Députés Européens Tchèques du parti d’Andrej Babis (ANO), laissent supposer que cette expulsion n’aura san doute pas lieu, tant le groupe est déjà affaibli.  Il se tramerait une ‘mission d’observation’ aux Pays Bas afin de vérifier que le VVD demeure fréquentable malgré sa participation au nouveau gouvernement.

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Catherine Fieschi