Opération Koursk : quelle est la stratégie de l’Ukraine ?

Opération Koursk : quelle est la stratégie de l’Ukraine ?
Publié le 29 août 2024
  • Expert militaire et directeur du New Geopolitics Research Network
Défiant les attentes, l'audacieuse opération ukrainienne de Koursk cherche à remodeler la dynamique de la guerre. Le 6 août, des premiers rapports ont fait état d'une incursion ukrainienne non confirmée dans la région russe de Koursk. Ce n'est que le 12 août que le commandant en chef de l'armée ukrainienne, Oleksandr Syskyi, a confirmé que l'offensive était une opération ukrainienne. Quel est l'objectif de ces opérations ? Quelles sont les stratégies et les tactiques à la base de ces opérations ?
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Cet entretien est tout d’abord paru le 22 août 2024 sur le site ukraineworld.org/en

Propos recueillis par ANASTASIIA HERASYMCHUK, rédactrice en chef adjointe à UKRAINEWORLD

L’opération ukrainienne dans la région de Koursk est une opération asymétrique non conventionnelle visant à provoquer un chaos managérial au Kremlin et, au-delà, l’instabilité politique.

Le commandement russe se demande maintenant où aura lieu le prochain assaut ukrainien et quelles seront les actions ultérieures car l’opération de Koursk pourrait ne pas être la seule offensive ukrainienne.

Depuis octobre dernier, la Russie mène des opérations offensives dans la région du Donbass. Dans ce contexte, de nombreux experts estimaient que l’Ukraine devait éviter les actions offensives en 2024 et se concentrer plutôt sur la défense stratégique. Toutefois, les partisans d’une autre stratégie ont affirmé que l’Ukraine devait lancer des opérations asymétriques non conventionnelles en 2024 afin de se placer dans une position plus forte en 2025, qui pourrait représenter l’année cruciale de la guerre russo-ukrainienne.

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Cela s’explique non seulement par les prochaines élections aux États-Unis mais aussi par la diminution des ressources de la Russie, ce que cette dernière ne perd pas de vue. C’est pourquoi l’Ukraine doit aborder 2025 en reprenant l’initiative stratégique. Et l’opération Koursk s’inscrit dans cette conception globale.

Le commandement politico-militaire russe semble avoir décidé de poursuivre l’offensive dans le Donbass tout en tentant de neutraliser la menace dans la région de Koursk avec des unités minimales. Il s’agit là, à franchement parler, de la pire décision possible pour la Russie. En s’enfonçant plus profondément dans le Donbass, les Russes auront beaucoup de mal à retirer leurs réserves si nécessaire et à contrer l’avancée des troupes ukrainiennes avec des forces minimales lorsque l’Ukraine frappera dans de multiples directions.

Les troupes ukrainiennes continuent de prendre des positions défensives avantageuses dans la région de Koursk, en partie grâce au choix de la réponse russe. Cela crée les conditions nécessaires pour prendre pied sur ce territoire et l’utiliser à différents niveaux.

D’un point de vue stratégique, ce territoire permettra à l’Ukraine de prendre l’initiative et d’agir dans des conditions plus favorables, y compris lors de futures négociations, que ce soit avec le nouveau président des États-Unis, le Premier ministre indien Modi ou d’hypothétiques pourparlers indirects avec la Russie. Il s’agit d’une démarche véritablement stratégique qui permettra à l’Ukraine de négocier une position plus forte que si elle s’était contentée d’une posture défensive.

Au niveau opérationnel, il s’agit d’une opération visant à forcer les Russes à repositionner leurs réserves et à manœuvrer différemment que s’ils étaient uniquement engagés dans des opérations offensives plutôt que défensives. Ils tentent actuellement de déplacer leurs réserves de façon minimale, mais à mesure que l’opération ukrainienne progresse, ils seront contraints de retirer des forces d’autres fronts, en particulier du sud de l’Ukraine. Et les forces armées ukrainiennes peuvent en profiter pour effectuer d’autres manœuvres.

Au niveau tactique, l’armée ukrainienne continue de consolider sa présence dans la région de Koursk en utilisant les caractéristiques géographiques du terrain. Les rivières Seym, Psel et Sudzha, en particulier, servent de base aux manœuvres ukrainiennes actuelles et permettent de constituer des forces sur ce territoire.

La Russie est actuellement en train de s’illusionner elle-même, en affirmant que rien de bien terrible ne s’est produit. Elle tente de donner l’impression que les opérations ukrainiennes sont imprudentes et temporaires et que l’Ukraine sera contrainte de se retirer des territoires tenus par les Russes parce qu’elle est incapable de soutenir les avancées de ses troupes.

Toutefois, il s’agit là d’un raisonnement erroné. En attendant, l’Ukraine peut aller de l’avant avec ses plans. En termes de territoires, la profondeur et la largeur de l’avancée ne sont pas les objectifs premiers de ces opérations.

Leur objectif est de mener à bien les tâches spécifiques de ces opérations, qui ne sont pas divulguées. La façon dont les troupes ukrainiennes utilisent les rivières mentionnées ci-dessus montre clairement qu’elles ont l’intention d’établir fermement leur présence.

Les caractéristiques géographiques du terrain sont utilisées pour renforcer la sécurité des flancs contre d’éventuelles attaques russes. Dans ce type d’opérations, les flancs sont essentiels. Dans les opérations offensives, les flancs doivent être protégés par les mêmes troupes que celles qui avancent. Toutefois, en s’appuyant sur des caractéristiques géographiques telles que les rivières, les forces ukrainiennes peuvent consacrer moins de ressources à la sécurisation de leurs flancs.

Si la tactique russe reste inchangée, l’Ukraine pourrait lancer des opérations visant à établir un corridor sanitaire dans les régions de Briansk et de Belgorod. Ainsi, en coupant la logistique et les communications russes dans la région de Belgorod, par exemple, cela contribuerait à réduire la menace d’un bombardement constant de Kharkiv et d’éventuelles attaques directes.

En d’autres termes, si la Russie continue d’avancer dans l’oblast de Donetsk tout en prétendant que rien de grave ne se passe sur son territoire, il serait logique que l’Ukraine étende la zone de contrôle autant que possible pour sécuriser les territoires ukrainiens.

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Mykhailo Samus