La percée de l’extrême droite aux élections législatives : la fin de l’exception portugaise ?

La percée de l’extrême droite aux élections législatives : la fin de l’exception portugaise ?
Publié le 22 mai 2024
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Le 25 avril dernier, les Portugais ont célébré les 50 ans de la « révolution des œillets » qui a permis de tourner la page du salazarisme. Fort de cette transition démocratique pacifique réussie, le Portugal semblait immunisé contre le retour de la droite extrême en politique. Pourtant, un peu plus d’un mois plus tôt, lors des élections législatives, un jeune parti se disant « anti-système » a fortement progressé, révélant un malaise démocratique plus profond qu’on ne le pensait.
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Le 10 mars 2024, le parti populiste d’extrême droite Chega est devenu la troisième force politique du Portugal à l’issue d’élections générales remportées par la droite. Chega, qui signifie « Assez », défend un projet populiste et s’adresse aux électeurs mécontents. Lorsque le parti a été fondé en 2019, il n’avait élu qu’un seul député : le chef du parti, André Ventura. Passant de 7 % des voix en 2022 à 18 % en 2024, l’électorat du parti a connu une croissance impressionnante en quelques années. Avec 50 sièges sur 230 au parlement, Chega s’est imposé comme une force politique avec laquelle il faut désormais compter. Cette percée électorale marque la fin de l’exception portugaise quant à la croissance du vote populiste en Europe. En outre, pour la première fois au cours de ce siècle, un troisième parti défie les grands partis de gauche et de droite, mettant fin au système bipartite traditionnel.

La montée du vote d’extrême droite au Portugal : regards historiques

            Les résultats des dernières élections générales s’expliquent par des problèmes économiques et politiques qui ont conduit à une méfiance généralisée à l’égard des partis politiques traditionnels. En 2011, le Partido Social Democrata (PSD), parti de centre-droit, a mis en place une politique d’austérité stricte dans le cadre du plan de sauvetage du FMI. En 2015, les socialistes ont formé un gouvernement soutenu au parlement par les communistes et le parti populiste de gauche dans une alliance appelée « Geringoça ». Pendant ces années, la méfiance n’a cessé de croître : alors que l’élite politique – les socialistes et le centre-droit – gouvernait le Portugal, les citoyens ordinaires se sentaient laissés pour compte. D’une part, un scandale de corruption a touché l’ancien Premier ministre socialiste José Socrates ; d’autre part, le centre-droit est, dans l’esprit des portugais, associé aux années d’austérité qui ont conduit à des baisses du montant des retraites et des salaires. Les deux partis politiques traditionnels ont suscité une désaffection croissante, qui s’est traduite par un taux d’abstention de 40 % lors des élections.

En 2017, le parti d’extrême droite n’avait obtenu que 0,5% des voix. En Europe, le Portugal faisait figure d’exception et on considérait que l’extrême droite ne pouvait pas y prospérer car la période de dictature et de lutte contre le salazarisme était trop récente. Il s’agissait d’une illusion. Certes, le populisme n’avait pas d’existence politique mais un racisme systémique s’était enraciné dans la vie quotidienne. Vincente Valentim, de l’université d’Oxford, a montré que l’extrême droite portugaise, à cette époque, manquait surtout de dirigeants capables de mobiliser les électeurs.

La figure d’André Ventura a soudainement donné une voix à ces électeurs. En 2017, en tant que membre du PSD, il se lance dans une campagne pour devenir maire de Loures, une municipalité au nord de Lisbonne. À l’époque, il est un commentateur de football populaire et un supporter du club de Benfica. En politique, il était inconnu. Après des discussions avec la police locale et son conseiller de relations publiques, il a compris qu’il lui fallait une cible s’il souhaitait obtenir une couverture médiatique et il a choisi les gitans. Il a alors décroché des interviews dans lesquelles il expliquait que les gitans vivaient presque exclusivement des subventions de l’État. C’est avec ce sujet opportuniste et populiste qu’il a commencé à se faire connaître politiquement en faisant la une des journaux.

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Le rôle des médias a été central dans la croissance de sa popularité.  Dès ce premier coup d’éclat médiatique, les journalistes ont accordé beaucoup de temps d’antenne à Ventura. Selon les statistiques officielles, Ventura a bénéficié de plus de temps d’antenne que le leader de l’opposition et n’a été dépassé que par le premier ministre et le président. Cet avantage médiatique est intimement lié à la crise du journalisme au Portugal. En effet, les salles de rédaction sont de plus en plus en compétition pour capter l’attention du public et les thèmes populistes comme ceux de Ventura sont très populaires. Ainsi, au-delà de sa rhétorique populiste qui fonctionnait face à une défiance politique généralisée, les journalistes l’ont aidé en lui offrant une plateforme pour prospérer.

Les résultats des élections générales de 2024 sont le fruit d’une combinaison de phénomènes socioculturels anciens et d’une perte de confiance dans les partis politiques traditionnels. La règle des 4D, théorisée par Matthew Goodwin, Roger Eatwell et Oliver Heath pour expliquer le populisme, s’applique également au Portugal et met le doigt sur ces évolutions structurelles. Selon eux, les mouvements antipolitiques et populistes peuvent s’expliquer par quatre phénomènes : la défiance du grand public à l’égard de l’establishment traditionnel ; la destruction des identités traditionnelles par l’accélération de la mondialisation et des échanges entre cultures ; le déclassement lié aux inégalités ; et la dislocation de l’identité partisane ou des marqueurs politiques spécifiques.

En plus de ces évolutions structurelles, on assiste à la fin du système bipartite liée à la défiance face aux partis traditionnels. En effet, la victoire du centre droit et la nomination de Luis Montenegro au poste de premier ministre ne doivent pas faire oublier que ce parti a obtenu les pires résultats électoraux de son histoire. Quant au parti socialiste, il a fait le même score qu’en 2011, année où il était au pouvoir dans un pays marqué par l’austérité imposée par le FMI. C’est le meilleur résultat qu’ils pouvaient espérer mais c’est le pire qu’ils aient jamais obtenu. Ces deux observations montrent que les citoyens préfèrent désormais voter pour de nouveaux partis plutôt que pour des partis traditionnels. Les seuls partis dont les résultats ont progressé ont rejoint la scène politique au cours de la dernière décennie : à gauche, le parti européiste et écologiste Livre, et à droite, le parti libéral IL et le parti populiste Chega. Cela révèle une profonde méfiance à l’égard des partis traditionnels de la démocratie. En avril 2021, un sondage réalisé par Expresso a révélé que seuls 10 % des Portugais pensaient vivre dans une véritable démocratie. En outre, les électeurs de Chega pourraient être en partie d’anciens abstentionnistes, puisque le taux d’abstention est passé de 51 % en 2019 à 40 % en 2024.

Ce vote représente-t-il un changement structurel dans la politique portugaise ? Ou s’agit-il d’un phénomène un peu plus circonstanciel, puisque les partis traditionnels sont toujours sortis vainqueurs de cette élection ?

LGC

Ces votes d’extrême droite au Portugal ne sont pas circonstanciels. Le populisme est aujourd’hui omniprésent en Europe – et le Portugal n’est pas à l’abri du racisme structurel et de la profonde méfiance à l’égard de l’élite politique qui sont à l’origine de ces mouvements populistes.

Le politiste néerlandais Cas Mudde a écrit qu’il n’existait pas de méthode idéale pour gérer le phénomène populiste, car il variait d’un pays à l’autre et d’une culture à l’autre. Ce phénomène doit être appréhendé selon le moment historique dans lequel il s’inscrit.. Le Danemark est un pays où l’extrême droite a reculé aussi vite qu’elle est arrivée. En effet, le Parti du peuple danois (DPP), un parti d’extrême droite et populiste, est passé de 21 % en 2015 à 8 % en 2019 lors des élections générales danoises où le parti de gauche a récupéré des voix à la droite populiste.

En Espagne, le Parti populaire (PP) de centre-droit a adopté certaines des principales propositions de Vox récupérant ainsi des électeurs à la droite radicale. Ce type d’accord avec la droite radicale populiste pourrait donc également se produire au Portugal. En matière de politique économique, Chega défend des mesures de plus en plus à gauche afin d’attirer un électorat modéré. Pedro Nuno Santos, le nouveau leader socialiste, pourrait donc lui aussi récupérer des électeurs de Chega. Après les élections, Pedro Nuno Santos a d’ailleurs reconnu sa défaite et a déclaré qu' »il n’y avait pas 18% de racistes au Portugal », faisant référence au score de Chega. Il a alors lancé un appel aux Portugais pour qu’ils lui fassent à nouveau confiance.

Si le PSD s’attaque à des questions telles que l’immigration et la corruption, il pourrait récupérer des électeurs de Chega. Le Premier ministre Luis Montenegro a refusé de former un gouvernement avec Chega, ce qui a permis aux populistes de rester à l’écart de l’exécutif, du moins pour l’instant. Toutefois, certains membres du PSD ont déclaré qu’ils devraient former une alliance avec Chega.

Spécificités du vote populiste portugais

Plusieurs enquêtes ont été menées pour comprendre qui a voté pour Chega. Tout d’abord, la probabilité qu’un électeur vote pour Chega diminue avec l’âge. En d’autres termes, les jeunes âgés de 18 à 25 ans sont plus susceptibles de voter pour Chega, tandis que les électeurs plus âgés, entre 45 et 88 ans, sont plus susceptibles de voter pour les socialistes. De fait, les socialistes ont toujours défendu un montant élevé pour les retraites, et Chega vient tout juste d’intégrer cette question dans son programme pour gagner le vote des personnes âgées. Le parti d’André Ventura gagne du terrain parmi les jeunes électeurs parce que Chega jouit d’une excellente image sur les réseaux sociaux, particulièrement sur TikTok et Instagram. C’est le parti qui a le plus d’adeptes sur ces plateformes.

Les électeurs de Chega sont majoritairement masculins dans un pays où 58% de l’électorat est masculin. Le parti compte également la plus faible proportion de diplômés universitaires (22 %) et la plus forte proportion de diplômés uniquement de l’enseignement secondaire (55 %). Il s’agit donc principalement d’un électorat peu éduqué, parce qu’il est jeune et qu’il a arrêté ses études relativement tôt. Ce sont de jeunes travailleurs ou étudiants qui essaient de comprendre le nouveau monde et les familles politiques qui s’y trouvent.

Alexandre R. Malhado

Existe-t-il des divisions territoriales au Portugal en ce qui concerne les électeurs ?

LGC

Lors des élections législatives, Chega a dépassé les 10 % dans toutes les régions, à l’exception de Porto. Par exemple, dans le sud du Portugal, notamment dans le district de Faro, il est le parti le plus populaire. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment la crise du logement car Chega accuse les immigrés d’occuper les maisons disponibles. La crise est bien entendu plus complexe car l’Algarve est aussi une région de vacances où de nombreux Portugais achètent des maisons pour les louer pendant l’été. Ces dernières années, afin de contrôler les prix de l’immobilier, les socialistes ont d’ailleurs limité la construction de ces maisons de vacances et les revenus tirés de la location de ces propriétés. Un autre problème est l’absence de services de santé nationaux dans la région : l’Algarve attend un nouvel hôpital depuis plusieurs années. L’histoire d’une femme enceinte qui a dû accoucher dans un hôpital situé à des heures de route parce qu’elle ne pouvait pas se rendre à l’hôpital le plus proche a fait la une des journaux, tout comme les histoires de personnes qui meurent par manque de prise en charge sanitaire adaptée. À Faro, ces problèmes créent un sentiment général d’abandon de la part du gouvernement central.

Alexandre R. Malhado

Les enquêtes sur les valeurs européennes montrent que le Portugal est l’un des seuls pays où l’immigration n’est pas perçue comme une menace croissante. L’immigration est-elle un thème important pour Chega ?

LGC

Ces dernières années, l’immigration n’a pas été une question centrale au Portugal. Cependant, Chega, comme ses frères populistes en Europe, a essayé de la mettre à l’ordre du jour. Non seulement les Portugais comprennent profondément l’immigration – nous avons nous-mêmes immigré lors de plusieurs vagues au XXe siècle – mais l’immigration apporte de nombreux bénéfices pour le tourisme, la sécurité sociale et la démographie. Par exemple, le Portugal traverse un hiver démographique et la population n’augmente que grâce à l’immigration. Maintenant qu’il a obtenu 50 députés au Parlement, Chega va pousser cet agenda encore plus loin.

Cependant, la lutte contre la corruption, et non l’immigration, est le principal carburant de M. Chega pour captiver les électeurs. La corruption de l’ancien Premier ministre José Socrates est au centre de la scène médiatique, et si certains de ses crimes restent impunis, cela renforcera la méfiance politique. Ventura répond à cette méfiance par sa rhétorique anti-corruption. Il tente également de manipuler les électeurs en utilisant la question de la corruption comme un argument économique. Par exemple, il propose de financer ses propositions pour lutter contre la crise du logement avec les « 20 milliards d’euros » perdus à cause de la corruption. Mais ces 20 milliards d’euros comprennent la corruption des administrations locales, et l’État portugais ne peut rien faire contre la corruption des maires. Toute cette rhétorique est une instrumentalisation politique.

Alexandre R. Malhado

La stratégie de Chega : « Le média est le message »

Dans quelle mesure peut-on attribuer la victoire de Chega à la personnalité d’André Ventura ?

LGC

Un élément important à garder à l’esprit est que Chega est le one-man-show de Ventura, tout comme le PVV aux Pays-Bas est le one-man-show de Geert Wilders. Pour comprendre la stratégie politique et l’idéologie de Chega, il est essentiel d’examiner la carrière de cet homme.

Né en 1983 dans la banlieue de Lisbonne, Ventura a grandi dans une famille appartenant à la classe moyenne. Son père vendait des bicyclettes et votait pour le centre-droit. Sa mère était une fonctionnaire qui penchait politiquement à gauche. Il a fait ses études secondaires dans un séminaire catholique et voulait devenir prêtre. Il a mis fin à cette ambition après être tombé amoureux d’une jeune fille. Il fait ensuite des études de droit, pendant lesquelles il vit dans une communauté catholique avec des amis ultraconservateurs, proches de l’Opus Dei.

Lorsqu’il était étudiant, Ventura était très progressiste. Il a par exemple rédigé des essais défendant la laïcité de l’État, le mariage homosexuel et la dépénalisation de la prostitution. En 2013, il a obtenu son doctorat avec une thèse sur les politiques antiterroristes après le 11 septembre, critiquant la stigmatisation des minorités et le populisme punitif. Quatre ans avant de fonder Chega, il a écrit dans un journal portugais à propos des migrants traversant la Méditerranée : « Nous ne pouvons pas simplement fermer les yeux sur la tragédie humaine que représentent ces flux migratoires désespérés. Des pays comme le Portugal et l’Irlande ne devraient pas oublier leur passé récent en matière d’immigration et devraient accueillir autant de migrants que possible ». Il est difficile de comprendre comment la même personne est passée de ces déclarations à une rhétorique populiste. Rappelons qu’en 2017, il était membre du parti de centre-droit. En fait, si l’on examine ses antécédents familiaux et politiques, ses idées profondes semblent plus proches des idées de centre-droite. Par exemple, contrairement à tous les membres de Chega, il refuse d’ouvrir le débat sur l’avortement. Cependant, même s’il partage des idées avec le PSD, il est prêt à aller à l’encontre de ses propres valeurs pour accéder au pouvoir.

Alexandre R. Malhado

Quelle est l’idéologie de Ventura aujourd’hui ? Quel est son projet politique ?

LGC

Il est vain, pour les journalistes et les universitaires, d’essayer de comprendre ses idées à travers ce qu’il dit, car c’est un véritable opportuniste. Il façonne son programme pour attirer de nouveaux électeurs grâce à des messages attrape-tout. A sa création, Chega se définissait comme un parti ultra-libéral et voulait privatiser l’éducation et la santé. Quatre ans plus tard, ils ont complètement changé leur programme et veulent renforcer les soins de santé publics et l’éducation publique. Pour répondre à la crise du logement, ils veulent accorder une subvention directe aux jeunes primo-accédants et l’État garantira ces logements s’ils ne paient pas. Sur le plan économique, Chega a donc radicalement changé son programme et est beaucoup plus à gauche qu’auparavant.

En tant qu’opportuniste, Ventura peut dire des choses très contradictoires. Chega se présente comme un parti démocrate mais fait un clin d’œil à l’idéologie fasciste – en sachant que des prises de positions controversées font la une des journaux. On retrouve les mêmes ambiguïtés vis-à-vis du passé salazariste. Par exemple, ils ont célébré le 25 avril, la fête de la liberté au Portugal en raison de la fin de notre dictature. Mais, le même jour, ils ont également tweeté que la promesse du 25 avril n’avait pas été tenue parce que la République portugaise en est incapable. C’est ainsi que le parti peut séduire différents publics. Pour ses électeurs modérés, il célèbre la liberté et la fin du salazarisme. Pour ses électeurs contestataires, il critique la démocratie portugaise et affirme que la devise de Salazar, « Dieu, Nation et Famille », doit être introduite à nouveau dans le débat. 

La meilleure façon de comprendre l’idéologie de Ventura est de comprendre ce qu’est le populisme. Cas Mudde explique que, selon l’idéologie populiste, la société est divisée en deux groupes homogènes et antagonistes : le peuple pur et les élites corrompues. Cette idéologie repose sur l’opposition entre « nous » – les bons travailleurs portugais – et « eux » – les gitans, le parti socialiste « corrompu » ou la première cible venue. Le populisme est le ciment de Ventura.

Alexandre R. Malhado

Vous avez dit que Chega avait une utilisation très contemporaine des réseaux sociaux et des algorithmes. Quel rôle ont-ils joué dans cette victoire ?

LGC

Chega est très présent sur les réseaux sociaux Tik Tok et Instagram, qui sont les principaux supports utilisés par les jeunes pour s’informer. Chega est le one-man-show de Ventura, mais plusieurs personnes jouent leur rôle dans l’ensemble de l’orchestre. Rita Matias, par exemple, est une belle jeune femme de 25 ans dont le langage démagogique attire l’attention des plus jeunes. Elle est l’un des cerveaux de leur influence sur les réseaux sociaux. En 2022, elle s’est rendue en Espagne et a appris avec Vox à créer des infrastructures entières pour diffuser de l’information et à massifier des messages pour les rendre viraux sur TikTok. Chega a également beaucoup appris du Fidesz, le parti d’Orban, qui est l’un de ses principaux modèles de gouvernance.

Voici un exemple de leur attitude : après un débat parlementaire, l’équipe de communication sélectionne des passages qui mettent en valeur Ventura, ajoute une chanson fantaisiste et publie le tout sur Tik Tok. Par exemple, Ventura a dit un jour à une autre députée qu’elle devrait retourner en Afrique. Ils ont posté cette partie et cela a fait beaucoup de bruit sur les médias sociaux : c’était intentionnel. Il a été beaucoup critiqué pour cela, mais il voulait simplement que cela devienne viral. Cela a fonctionné parce que tous les jeunes ont vu ce clip. En même temps, Ventura s’adresse à la caméra comme un TikToker, utilise des mèmes pour toucher les jeunes et reçoit le soutien de youtubeurs humoristes qui n’ont pas l’habitude de parler de politique. Ces youtubers, qui évoluaient jusqu’à présent dans un monde virtuel, se sont soudain mis à parler de politique aux jeunes et ont interviewé Rita Matias et André Ventura. Les jeunes de 18 ans ne consomment plus seulement des blagues virtuelles et des vidéos stupides. Ils consomment aussi des contenus populistes de droite.

Chega sur la scène politique internationale

Sur les questions européennes, Chega est versatile et hypocrite. Alors qu’en 2019, il déclarait que l’Alternative pour l’Allemagne (AFD) était un parti extrémiste ridicule et inhumain, il prend aujourd’hui des selfies avec eux. De même, il y a quelques années, il n’aimait pas Marine Le Pen et maintenant il lui déroule le tapis rouge à Lisbonne.

Au départ, Ventura voulait rejoindre le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) parce que le parti d’extrême droite espagnol Vox en faisait partie. La forte représentation polonaise au sein du groupe ECR était également un argument clé pour un homme qui a reçu une éducation catholique et qui a l’habitude de dire qu’il a été choisi par Dieu. Ventura souhaitait également faire partie du groupe ECR parce qu’il était plus modéré que le groupe Identité et Démocratie (ID). Mais il a finalement été accepté dans le groupe ID. Cependant, en matière de politique étrangère, Ventura n’est pas d’accord avec la plupart des partenaires d’ID, alors qu’il est d’accord avec ECR.

Chega fera certainement un bon score aux élections européennes, ce qui sonnera comme une victoire pour Ventura, qui souhaite acquérir une image à portée internationale. Ventura voudrait devenir aussi important que Viktor Orban, dans une sorte de mégalomanie. Maintenant, son premier objectif est d’élire des membres du Parlement européen, car en 2019, lors de leur toute première élection, Chega n’a eu aucun élu. L’un des rêves européens de Chega est de contribuer à l’unification de l’ECR et de l’ID en un seul parti, peut-être avec Viktor Orban à sa tête.

Alexandre R. Malhado

Que veut dire Chega lorsque le parti plaide pour une UE pré-Maastricht ?

LGC

À l’instar de Marine Le Pen en France, Chega souhaite une « Europe des nations », c’est-à-dire une Union européenne dans laquelle chaque nation conserve sa souveraineté et sa capacité à avoir le dernier mot. Mais l’euroscepticisme de Chega est timide : Ventura, par exemple, soutient pleinement l’euro et les fonds européens. Au Portugal, beaucoup de gens ne votent pas aux élections européennes, donc nous ne savons pas ce qui pourrait se passer – Chega pourrait obtenir un autre score historique ou subir les effets d’une importante abstention. En fait, la plupart des succès de Chega proviennent des jeunes, qui ne votent généralement pas aux européennes.

Alexandre R. Malhado

Quelle est l’intensité de ses liens avec les dirigeants hors du Portugal, par exemple Bolsonaro au Brésil ou Orban en Hongrie ? Rencontre-t-il Orban ? Avez-vous l’impression qu’il y a aussi des interférences étrangères avec d’autres partis d’extrême droite européens ?

LGC

Chega est le parti le plus populaire parmi les Portugais de la diaspora. Au Brésil, par exemple, Chega entretient des relations étroites avec la famille Bolsonaro, en particulier Eduardo et Jair Bolsonaro, qui ont déclaré leur soutien à Ventura. Je pense que l’influence de Bolsonaro parmi les Portugais vivant au Brésil, en particulier parmi les évangéliques, explique en partie leur bon résultat.

Ventura veut montrer qu’il a des liens étroits avec Viktor Orban, mais ce n’est pas vrai. En fait, Chega est pro-ukrainien, il y a donc un fort décalage entre les deux partis. Lorsqu’il s’est rendu à Budapest, Ventura n’a pas parlé de guerre. Il veut envoyer une aide militaire à l’Ukraine et sait qu’il ne peut pas être d’accord avec Orban sur cette question. Il s’est donc concentré sur l’immigration, affirmant que Lisbonne commençait à ressembler à un pays musulman – ce qu’il ne dit pas au Portugal parce que ce n’est pas populaire. Il diffuse ce type de discours à l’étranger pour plaire à la diaspora et à ses alliés internationaux.

Alexandre R. Malhado
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Alexandre R. Malhado