Italie : Une victoire personnelle sans plébiscite pour Giorgia Meloni

Italie : Une victoire personnelle sans plébiscite pour Giorgia Meloni
Publié le 13 juin 2024
  • Étudiante en urbanisme à l'Université Libre de Bruxelles-Vrije Universiteit Brussel, Universität Wien et Polytechnique de Turin (Politecnico di Torino)
Tour d’Europe des élections. La très forte abstention, malgré des élections municipales qui se déroulaient en même temps, a affaibli de nombreux petits partis mais clarifie le paysage politique en installant le face à face de deux femmes : Giorgia Meloni, la cheffe du gouvernement et dirigeante de Fratelli d’Italia, face à Elly Schlein, nouvelle dirigeante du Parti démocrate, qui s’est imposée lors de ces élections comme la principale figure d’opposition.
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Les élections européennes en Italie se sont déroulées en même temps que les élections municipales dans 3 698 communes et régionales dans le Piémont. 5 circonscriptions électorales (Nord-Ouest, Nord-Est, Centre, Sud et Îles) ont été délimitées pour élire les 76 eurodéputés italiens.

Ces élections se sont tenues dans un climat politique particulièrement tendu. Ces derniers mois ont en effet été marqués par des débats autour de la première ministre Giorgia Meloni et la RAI, principale chaîne de télévision publique italienne, désormais qualifiée de “Télé-Meloni”. Depuis sa prise de fonction, la cheffe de gouvernement a imposé ses idées dans le monde de la culture et l’audiovisuel public, en plaçant ses proches à des postes stratégiques. Elle a été également accusée de profiter d’une couverture médiatique disproportionnée et d’être impliquée dans l’annulation du monologue de l’écrivain Antonio Scurati qui devait être diffusé sur la chaîne, dans lequel il accusait l’actuel gouvernement de ne pas condamner officiellement le fascisme.

Giorgia Meloni a fait de ces élections un test politique crucial, souhaitant que ce vote confirme son gouvernement. La première ministre s’est présentée en tête de liste de son parti, une démarche qu’elle a été la seule, avec le croate Andrej Plenkovic, à entreprendre parmi les dirigeants européens, sans avoir toutefois aucune intention de siéger au Parlement européen.

D’après une étude pré-électorale, les principales motivations des citoyens italiens pour voter aux élections européennes sont d’abord le sens du devoir (46%), suivis par le désir de changer l’UE (22%) et de la renforcer (19%). Les priorités politiques des électeurs sont la santé, le pouvoir d’achat, les salaires et les affaires internationales. L’immigration arrive en sixième position, tandis que les jeunes de 18 à 34 ans montrent un fort intérêt pour le développement durable et le Green Deal.

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La participation au scrutin a atteint un niveau historiquement bas, chutant à 48,3%, 6 points en moins par rapport aux élections de 2019. Cette baisse a été particulièrement marquée dans le Sud, notamment en Sardaigne et en Sicile, où la participation est passée en dessous de la barre des 40%. La diminution la plus forte a été enregistrée dans le Nord-Ouest, avec une baisse de 10 points, malgré les élections municipales et régionale qui se tenaient au même moment.

Selon les premières projections, Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, a obtenu 28,76% des suffrages, un pourcentage en légère hausse par rapport aux élections parlementaires du 25 septembre 2022, consolidant ainsi sa position en tant que première force politique du pays. Ce score correspond toutefois à un nombre inférieur de votes en valeurs absolues (600 000 de voix en moins), la très forte abstention ayant eu un impact significatif sur l’ensemble de ce scrutin. Un tel score permet à la première ministre de renforcer sa popularité personnelle, son nom ayant reçu plus de 2 millions de votes de préférence, dynamique impulsée par sa campagne “Vote Giorgia”, au cours de laquelle elle a demandé à ses électeurs d’écrire son seul nom sur le bulletin de vote. Avec ses 24 sièges, Fratelli d’Italia pourrait également devenir la principale délégation du groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE) au Parlement européen, ce qui soulève des interrogations quant à la stratégie que le parti adoptera, entre rapprochement avec le parti populaire européen (PPE) ou plutôt le groupe identité et démocratie (ID) où siègent les élus de la Lega et du Rassemblement national.

Avec 24,11% des voix, le Partito democratico se positionne comme la principale force d’opposition, enregistrant un meilleur score que ce que les derniers sondages prévoyaient et réduisant l’écart avec Fratelli d’Italia de 7 à 5 points de pourcentage par rapport aux élections de 2022. Cela permet à sa leader Elly Schlein de s’imposer au sein de son parti, malgré les lourdes critiques reçues depuis son élection en tant que secrétaire nationale il y a un peu plus d’un an. Le parti enregistre de bons scores surtout dans le centre de la péninsule, arrivant en tête dans plusieurs localités de Toscane et Émilie-Romagne, ainsi que dans une partie de la Ligurie, des Pouilles et de la Sardaigne. Avec ses 21 sièges, le Partito democratico pourrait devenir la principale délégation du groupe S&D au Parlement européen, devançant le PSOE espagnol, ce qui lui assurerait un rôle influent.

Forza Italia, le parti berlusconien dirigé par l’actuel ministre des affaires étrangères Antonio Tajani, en coalition avec Noi Moderati,récolte 9,59% des voix (en s’affirmant en tête dans la plupart des localités de Sicile) obtenant 9 sièges. Le parti se retrouve au coude à coude avec ses alliés de la Lega, qui a obtenu 8,98% des voix (8 sièges). L’affaiblissement du parti de Matteo Salvini par rapport aux élections de 2019 (où il avait fait un meilleur score que celui de Fratelli d’Italia lors de ce dernier scrutin, avec 34,3% des voix) et son léger devancement par le parti berlusconien plus modéré pourrait fragiliser sa position au sein de la coalition gouvernementale.

Source : Pagella Politica

Le Movimento 5 Stelle a essuyé une lourde défaite, ne récoltant que 9,98% des suffrages, bien en deçà des derniers sondages qui le créditaient de 16%. D’après une enquête, le parti semble avoir été le plus touché par l’abstention, avec 35% de son électorat de 2022 qui ne s’est pas rendu aux urnes. Le parti obtient encore de bons scores dans certaines localités des Pouilles, de Campanie et de Calabre. La question majeure est désormais de savoir avec qui ses 8 élus siégeront au Parlement européen, le parti s’étant distingué par sa division au cours de la dernière législature.

Une surprise est venue de l’Alleanza Verdi-Sinistra (“Alliance Verts-Gauche”), qui a obtenu 6,78% des suffrages (3 sièges), dépassant les prévisions qui la donnaient à 4% et garantissant ainsi l’élection de figures marquantes telle que l’enseignante et militante antifasciste Ilaria Salis. Arrêtée en février 2023 et assignée à résidence à Budapest à la suite d’une manifestation contre un rassemblement néonazi, elle devrait pouvoir être libérée grâce à son immunité parlementaire. Ce bon score renforce les rangs du dit campo largo (“large coalition”) comme bloc d’opposition face à la droite et l’extrême droite. Des incertitudes persistent quant au groupe parlementaire auquel ces eurodéputés s’affilieront, entre le groupe de la gauche et les Verts.

Enfin, les listes des Stati Uniti di Europa (« États-Unis d’Europe ») de l’ancien premier ministre Matteo Renzi et Azione, guidée par le sénateur Carlo Calenda, ne dépassent pas les 4% des suffrages, n’obtenant aucun siège. Ces partis modérés, divisés, ont largement souffert de l’impact de l’abstention (30% de leur électorat de 2022).

Parallèlement, les élections régionales en Piémont ont enregistré une participation de 55%, en baisse de 8 points par rapport à 2019. Alberto Cirio (Forza Italia) a été réélu président du Piémont, avec 50 à 54% des voix, devançant la candidate du Parti démocrate, Gianna Pentenero, qui a recueilli 34-38 % des suffrages.

Concernant les élections municipales, le centre-gauche arrive en tête dans plusieurs villes, telles que Bergame, Bari, Cagliari, Florence, Pérouse et Potenza. Les écarts avec Fratelli d’Italia demeurent parfois très serrés et le parti de l’actuelle première ministre obtient des victoires symboliques, par exemple à Stazzema, théâtre en 1944 d’un massacre nazi et symbole antifasciste.

Dans leur ensemble, ces résultats confortent la majorité de Giorgia Meloni, notamment face à ses alliés de la Lega et de Forza Italia, tout en renforçant le Partito democratico de Elly Schlein en tant que force d’opposition par rapport au Movimento 5 Stelle et l’aile modérée de Matteo Renzi et Carlo Calenda, plaçant ainsi les deux femmes au cœur du jeu politique italien, dans un contexte marqué par une augmentation constante de l’abstention.

Parmi les défis à venir pour le gouvernement de Meloni figure la réforme constitutionnelle en cours, qui envisage notamment l’élection directe du chef de gouvernement, à l’image du système présidentialiste français. Ce changement, s’il est adopté, marquera un tournant dans les logiques institutionnelles et politiques de la péninsule. Cependant, sa concrétisation dépendra de la cohésion des partis de droite (notamment de Forza Italia, divisé sur ce sujet et désireux de préserver sa popularité auprès des modérés) ainsi que de celle des partis d’opposition. Ceci intervient dans un contexte d’approbation du Pacte de stabilité, alors que le pouvoir d’achat et la santé sont les priorités majeures pour les électeurs de ce dernier scrutin, ce qui pourrait mettre le gouvernement à rude épreuve

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Clémentine Paliotta