Édito

Retraites : tourner la page ?

Publié le 28 avril 2023
Par ses visites sur le terrain, confronté au bruit des casseroles, Emmanuel Macron veut montrer qu’il reste actif et à l’écoute des Français. Est-ce la bonne réponse à l’onde de mécontentement créée par la réforme des retraites ? C’est la compréhension de l’humeur du pays qui se joue dans cette tentative d’ouvrir une nouvelle phase du quinquennat à peine entamé. Colère, résignation ou ressentiment ?
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Faut-il considérer que le dossier de la réforme des retraites est refermé ? Après la promulgation de la loi le 14 avril, l’intersyndicale a donné rendez-vous le 1er mai pour une nouvelle grande journée de mobilisation nationale. Mais le président de la République, lui, en demandant à la Première ministre de présenter un programme de travail pour les prochains cent jours, fait le pari de tourner la page rapidement. Cette stratégie semble s’appuyer, explique ici Robert Zarader, sur une analyse de l’opinion inspirée de travaux de Jérôme Fourquet : les Français partageraient une forme de résignation malgré leur mécontentement. Conjugué à un individualisme plus prononcé et à une sorte de « flemme » collective, cet esprit de renoncement limiterait la force des mouvements collectifs. Cette lecture des mobilisations des derniers mois paraît pour le moins sommaire et aventureuse, en regard de la colère qui traverse encore le pays.

D’abord parce qu’il se joue dans ce dossier des combats plus vastes. Liberté d’organiser sa vie, justice intergénérationnelle, progrès social…, les enjeux ouverts par cette séquence sont sans doute structurels. Ils recoupent d’ailleurs les hésitations historiques de la gauche depuis des décennies, partagée entre réalisme réformateur et quête de l’émancipation, comme le rappelle Jean-Marc Daniel.

Ensuite, parce que la colère demeure vive. En témoigne le recours à la violence qui est apparu aux marges du mouvement. En effet, si les manifestations ont été bien encadrées par les syndicats, la tentation de l’affrontement est tout de même apparue dans les moments de tension. D’autres mobilisations récentes, comme celle contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, ont été l’occasion de confrontations directes avec les forces de l’ordre. Comment comprendre l’irruption récurrente de la violence dans la vie politique française au-delà de la responsabilité propre d’une doctrine de maintien de l’ordre objectivement confrontationnelle ? Xavier Crettiez propose une analyse fondée sur la collecte de données empiriques. Pour lui, s’il ne faut pas surestimer la singularité française en la matière, le recours à des formes d’action violentes apparaît notamment comme une réponse à un Etat très présent et puissant, qui ne prend pas assez en compte la parole des citoyens et des corps intermédiaires.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment a-t-on pu passer d’un conflit social à une crise politique suscitant le doute sur nos institutions ? C’est la question que pose Jean-Louis Missika. Un tel fiasco politique s’explique selon lui par la conjugaison de trois facteurs principaux : la dramatisation politique d’une réforme qui relevait de l’ajustement comptable ; l’incapacité à créer du consensus sur le diagnostic ; l’incapacité à tirer les leçons du résultat des élections législatives et du retrait du fait majoritaire.

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La place de la voix des citoyens entre deux élections est à nouveau abordée par Thierry Pech, à propos de la portée des Conventions citoyennes. S’agit-il de concourir directement à la fabrication de la loi ? Est-ce une rupture ou une mise en cause de la démocratie représentative ? Poursuite d’un débat déjà développé avec Dominique Schnapper, cet échange avec Gérard Grunberg et Pasquale Pasquino défend l’idée d’une complémentarité entre processus participatif et fabrication de la loi. Si le travail parlementaire, légalement mais abusivement « rationalisé », mérite d’être défendu et revalorisé, c’est notre vie démocratique dans son ensemble qui a besoin de davantage de délibération.

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