Édito

Para Bellum

Publié le 23 juin 2023
Une guerre annoncée pour certains, imprévisible et inattendue pour d’autres. L’agression russe contre l’Ukraine rappelle qu’on ne peut jamais perdre de vue les logiques de puissance, aussi aveugles et irrationnelles soient-elles. Elle illustre l’opacité du pouvoir en régime autoritaire, révèle l’état de désordre du système international et impose la révision de quelques certitudes.

Après l’échec de l’offensive russe initiale contre l’Ukraine, lancée le 24 février 2022, la guerre a connu une succession de phases plus ou moins intenses : fixation des fronts, courte contre-offensive ukrainienne, consolidation des lignes de défense russe, renforcement des capacités, préparation de l’offensive ukrainienne de printemps. Celle-ci est maintenant lancée, après plusieurs semaines de « modelage » (shaping) du front, et se déploie lentement dans tout l’Est du pays, sans avancée décisive à ce stade.

L’agression russe contre l’Ukraine fait partie de ces événements qui bousculent les certitudes établies et appellent une réflexion fondée sur l’analyse la plus précise des faits. Au fil des semaines, avec le concours de nombreux chercheurs et experts, nous avons rassemblé des contributions qui explorent quatre grandes dimensions de cet événement. 

Tout d’abord, la guerre est un révélateur de la nature du pouvoir russe. Le choix revendiqué de l’agression, l’idéologie qui l’accompagne, les crimes de guerre, la propagande… ont mis à bas les dernières illusions sur la réalité d’un pouvoir autoritaire violent, criminel, qui ne reconnaît que le langage de la puissance. Pour beaucoup, notamment en Europe, le réveil fut brutal. Les signes avant-coureurs n’avaient pourtant pas manqué (Nicolas Tenzer). La guerre hybride, par l’utilisation intense des outils de propagande numérique, était déjà en place (Kevin Limonier). Et l’analyse du langage si particulier de ce pouvoir, complète Denis Bertrand, est révélateur. C’est pourquoi, plaide Thorniké Gordadzé, le discours « pacifiste » appelant à des négociations sans désigner clairement les responsabilités de l’agresseur, ne peut aujourd’hui que faire le jeu de la Russie. 

Une deuxième dimension concerne ce qui se passe dans les sociétés russe et ukrainienne, des pays qu’on croyait « frères » depuis longtemps. Peut-on expliquer la montée de la guerre par une progressive séparation de ces deux peuples ? Comment Ukrainiens et Russes se voient-ils maintenant ? Alexandra Goujon et Ana Colin Lebedev nous aident ici à comprendre l’histoire et la sociologie de cette relation complexe, transformée à jamais par ce combat fratricide. 

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Troisième ensemble : les contributions qui montrent l’impact de la guerre sur les pays voisins ou plus lointains et le changement des relations diplomatiques et politiques, en particulier à travers le continent. Tout d’abord, les pays directement affectés par la guerre, comme la Pologne (Jaroslaw Kuisz et Malgorzata Bonikowska) et la Moldavie (Florent Parmentier). Et, plus largement, des pays dont les relations avec la Russie sont particulièrement ambiguës et complexes, comme l’Italie (Marc Lazar), la Turquie (Dorothée Schmid) et la Chine (Jean-Maurice Ripert). 

Enfin, plusieurs interventions nous permettent de comprendre les effets de cette guerre sur les équilibres internationaux. Les équilibres économiques, comme par exemple ceux qui concernent l’alimentation (Mathias Ginet). Mais surtout les équilibres stratégiques puisque la place de l’Europe, affaiblie (selon William Desmonts) ou confortée (pour Zaki Laïdi), est inévitablement touchée par le déchainement de la violence sur le continent. Parmi les pays européens, explique Yves Bertoncini, les relations se redistribuent aussi en partie en fonction des positions vis-à-vis de la Russie. Enfin, vu du Sud, nous explique Ghassan Salamé, ce conflit montre un rééquilibrage mondial des puissances, où l’affaiblissement des règles collectives favorise les initiatives isolées et les doctrines opportunistes. 

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