Édito

Les Républicains sans la République

Publié le 2 juin 2023
Les Républicains veulent afficher leur unité et ils ont choisi une ligne dure : ils proposent un référendum sur l’immigration en droite inspiration du programme de Marine Le Pen. Le droit d’asile ou le regroupement familial ne sont pas seuls dans le viseur : c’est la possibilité, pour une majorité politique, de s’émanciper de l’Etat de droit qui est en réalité la cible. Et, avec lui, la participation de la France au projet européen. Renoncer à ses valeurs pour aspirer les extrêmes : le pari est risqué.
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Les Présidents de la Ve République ont toujours bénéficié, sauf cohabitation, d’une confortable majorité parlementaire. Logique, pensait-on : les institutions avaient été faites, en réponse à l’instabilité de la IVe République, à cette fin. Les élections législatives d’il y a un an ont montré une réalité plus complexe : la majorité n’est pas automatiquement acquise grâce au mode de scrutin et au calendrier électoral. En réalité, rappelait récemment ici Bastien François, le « fait majoritaire » est venu conforter le présidentialisme mais n’avait pas été tenu pour acquis par les concepteurs des nouvelles institutions. 

Il y a tout juste un an, les électeurs ont refusé à Emmanuel Macron une large majorité parlementaire. Or, au lieu de mettre en place un gouvernement de coalition lui garantissant une majorité, le Président a demandé à la Première Ministre de trouver des majorités de circonstance, texte par texte. Ce qui a permis, dans une certaine discrétion, l’adoption des projets de loi du gouvernement, notamment avec l’appui des voix des députés du groupe Les Républicains… jusqu’au refus de l’obstacle devant le projet de réforme des retraites. Certes, en usant de tous les recours du parlementarisme rationalisé, le texte est passé. Mais la question stratégique, elle, reste entière : sur quelle majorité le Gouvernement veut-il s’appuyer, en l’absence de coalition en bonne et due forme ? 

Divisé sur l’attitude à adopter à propos d’une réforme des retraites qu’il réclame à grands cris depuis 1981, le groupe des Républicains cherche à afficher son unité à propos du texte annoncé sur l’immigration. En pillant ouvertement le programme du RN sur le sujet, comme le montre ici Jean-Louis Missika, les Républicains ont choisi un axe stratégique de rupture : ils ne seront pas une force d’appoint de la majorité présidentielle. En renonçant à peser sur les orientations des textes soumis aux députés et en visant une reconquête de l’électorat parti vers l’extrême-droite, les Républicains font un choix risqué : celui de renoncer à leur culture de gouvernement et de se faire vassaliser par un RN aujourd’hui plus en position de force que l’ancien parti gaulliste en pleine dérive idéologique. Le parti suivra-t-il d’un bloc la stratégie récemment affirmée de Laurent Wauquiez ? Les militants accepteront-ils une rupture avec l’identité traditionnelle de leur parti, l’Etat de droit et les choix européens ? Une droite responsable pourrait-elle assumer l’inévitable perte d’influence française en Europe et la dégradation de l’image de la France à l’international ? 

La position de rupture des LR pose aussi un problème stratégique au gouvernement. Privé de la possibilité de trouver une alliance sur sa gauche et menacé de perdre des interlocuteurs au sein des LR, le gouvernement peut-il encore faire voter des lois ? C’est sans doute ce que souhaitent les électeurs qui attendent des élus qu’ils assument leur rôle de parlementaires et acceptent de se parler pour forger des compromis, au lieu de se laisser entraîner à la violence des échanges liée à la désagrégation des anciens cadres du débat démocratique. 

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Cette interrogation montre que le passage en force de la réforme des retraites, malgré la volonté du Président de tourner la page rapidement, arguant de l’idée que l’opinion serait résignée, laissera des traces. En choisissant de fixer le débat sur un symbole – l’âge de départ à la retraite – le gouvernement a délibérément laissé de côté le sujet du travail lui-même. Or, c’est bien l’expérience du travail qui conduit nombre d’actifs à considérer qu’ils auront du mal à prolonger leur carrière deux ans de plus, rappellent ici Martin Richer et Thierry Pech : les comparaisons européennes montrent que le travail apparaît chez nous moins « soutenable » qu’ailleurs. En matière d’accidentologie ou de santé mentale au travail, les marges de progressions françaises par rapport à nos voisins sont remarquables. Ce sont bien des chantiers qu’il faudra aborder, puisqu’il faut désormais allonger les carrières, si l’on ne veut pas que le travail soit vu comme antagoniste aux aspirations d’une vie accomplie. Mais qui sont les interlocuteurs aujourd’hui d’un tel débat, pourtant essentiel ? 

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