Édito

Le Conseil constitutionnel et la démocratie

Publié le 17 avril 2023
Jamais une décision du Conseil constitutionnel n’avait été autant attendue. Et jamais le Conseil lui-même n’avait été d’aussi près scruté. Sa décision a suscité des contestations où se devinent des attitudes peu respectueuses de l’Etat de droit. Mais elle a également donné lieu à des réflexions utiles sur l’état de nos institutions.
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Les décisions du Conseil constitutionnel n’ont pour but ni de trancher un débat politique ni d’apaiser une colère sociale. Aussi tous ceux qui attendaient des « neuf sages » qu’ils sortent de leur rôle n’ont-ils pu être que déçus par la décision rendue le 14 avril validant la réforme des retraites, hormis une poignée d’articles qui ne modifient pas l’économie générale du texte. En principe indifférent au mécontentement qu’il peut provoquer, le Conseil a jugé que le Gouvernement avait agi conformément aux règles constitutionnelles. Reste que la crise de confiance politique reste béante après la promulgation express de la loi. 

Mais pourquoi cet avis était-il tant attendu ? Que traduit cette attente de l’état de nos institutions politiques ? Ce que montre l’avis du Conseil, selon le professeur de droit public Samy Benzina, c’est que la Constitution donne bien à l’exécutif la force, par le recours à différents instruments, de faire passer une réforme contestée, aussi longtemps qu’il ne se trouve pas au Palais Bourbon une majorité de députés pour adopter une motion de censure. Cette faculté peut sembler excessive d’un point de vue politique, il n’empêche qu’elle est bien inscrite dans le texte constitutionnel. 

Comme le note l’auteur, une procédure peut cependant être constitutionnelle sans être jugée parfaitement démocratique. Au-delà du débat de doctrine qui animera les juristes, cet épisode relance les interrogations sur le déséquilibre de nos institutions politiques. En revenant sur l’histoire du 49-3, le politiste Bastien François rappelle qu’il ne s’agit pas d’une arme sortie de l’arsenal gaullien de primauté de l’exécutif mais d’un outil, déjà discuté à la fin de la IVe République, destiné à stabiliser les majorités parlementaires. Il démontre également que les nombreux instruments de rationalisation du parlementarisme prévus par les rédacteurs de la Constitution se sont révélés moins indispensables qu’ils ne l’avaient imaginé en raison de l’installation dans la durée  du « fait majoritaire ». 

Or, les élections de 2022, en privant le Président de la République de majorité absolue ont créé une situation nouvelle et une aspiration à la revalorisation du Parlement. Celle-ci reste pour le moment chimérique, à la grande frustration de nombreux observateurs, qui ont sans doute négligé le poids de notre histoire politique et institutionnelle. Occasion manquée, souligne le constitutionnaliste Denis Baranger, aussi du côté des députés, notamment de la France insoumise qui a choisi de communier avec la colère de la rue par une stratégie d’obstruction rendant impossible l’examen des articles essentiels du texte. Ce que montre notre histoire constitutionnelle, au-delà de la flambée d’intérêt que l’adoption d’un texte impopulaire peut susciter, c’est que le privilège de l’exécutif, largement accepté en 1958, est confronté aujourd’hui à de nouvelles attentes démocratiques qui redessinent les conditions de la confiance autour du pouvoir de décider. On comprend dés lors que la présidentialisation concentre les critiques, ce que résume ici la contribution de Pierre-Guy Therond. La concentration de la décision – et l’image de déni démocratique qu’elle produit – exacerbe la contestation, sans favoriser des choix collectifs partagés. Un an après sa réélection, le Président doit donner de la consistance à un slogan de campagne qui parlait de gouverner « avec vous ».

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