Édito

Coalition n’est pas un mot obscène

Publié le 8 juillet 2024
Non seulement ce n’est pas un mot obscène, mais c’est une obligation politique et morale pour tout député élu dans une assemblée où aucune majorité claire n’est sortie des urnes. C’est aussi le principe qui gouverne les démocraties parlementaires dans tous les pays, et qui devrait s’appliquer en France à l’issue de ce scrutin.

Que veut dire « coalition » ? En premier lieu que l’on doit s’entendre avec des gens auxquels on s’est opposé lors de la campagne. Ce qui veut dire que les déclarations tonitruantes comme « tout le programme et rien que le programme », ou « nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires » sont des phrases inutiles et creuses car, à la fin du jour, il faut renoncer à des pans entiers de son programme et accepter de gouverner avec ceux qui, hier encore, étaient vos adversaires et qui, eux-mêmes, renoncent à des pans entiers de leur programme pour cela. Cela veut dire aussi que la négociation doit se concentrer sur la constitution d’une véritable  coalition et non pas sur le principe vague de « majorités de projets » dont on a vu depuis deux ans les limites et les incohérences. Entre la coalition et le chaos, il n’y a… rien. Pas même un « gouvernement technique » dont les exemples les plus souvent cités – ceux de Mario Monti et de Mario Draghi en Italie – reposaient tous sur un accord entre les principaux partis représentés au Parlement, c’est-à-dire en définitive sur une coalition implicite.

Constituer une vraie coalition n’est pas chose facile. Il faut identifier les partis qui la formeront et garantiront un vote majoritaire à l’assemblée ou qui, à défaut, empêcheront des majorités de refus. Il faut proposer un Premier ministre, il faut répartir les postes gouvernementaux entre les partis, et last but not least, il faut se mettre d’accord sur une liste de mesures acceptables par tous les membres de la coalition : le programme de gouvernement, qui les distinguera sensiblement des programmes de chacun des partis membres de la coalition. Ce processus de négociation peut prendre du temps, mais c’est le prix à payer pour mettre en place un gouvernement qui gouverne vraiment.

Parce qu’il est arrivé en tête, le Nouveau Front Populaire porte une une responsabilité politique et morale essentielle : piloter la négociation pour la formation d’un gouvernement de coalition. Marine Tondelier, Olivier Faure, Raphaël Glucksmann, Fabien Roussel ont donc pour première tâche de demander à La France Insoumise une réponse claire sur son éventuelle participation à une coalition. Jean-Luc Mélenchon doit accepter la participation de députés insoumis à un gouvernement, ou acter la rupture du NFP entre ceux qui respectent l’esprit de la Constitution et les principes de la démocratie parlementaire, et les autres. Après cette première clarification, viendra la seconde : avec qui bâtir une coalition ? Et, là encore, la réponse est simple : avec les partis du centre, qui ont soutenu Emmanuel Macron entre 2022 et 2024, le Modem, Renaissance et Horizons. Démangée par des tentations autonomistes, l’aile droite du bloc présidentiel devra elle-même clarifier rapidement sa position. On voit bien ici à quel point la négociation sur le programme risque d’être compliquée tant il y a de sujets de friction (fiscalité, immigration, retraites, assurance chômage, éducation…). En Allemagne, sociaux-démocrates, libéraux et verts ont fini par se mettre d’accord, et l’écart entre les points de vue était tout aussi béant. C’est bien sur cette capacité à trouver des compromis que se jouera le destin du pays.

Il y a trois blocs, les deux premiers ont conclu, par les désistements et le front républicain, un pacte électoral pour empêcher le troisième d’accéder au pouvoir. Beaucoup ayant été élus de ce fait grâce aux voix de leurs rivaux qui se sont massivement reportées sur eux au second tour, la logique de ce pacte est de se poursuivre par la constitution d’une coalition gouvernementale. C’est ce que les formations de gauche et du centre doivent à un électorat qui s’est massivement rassemblé pour faire barrage au RN. Non seulement coalition n’est pas un mot obscène, mais c’est le mot-clé de la séquence qui s’est ouverte au soir du 7 juillet, celui qui nous dira si les leaders de la gauche et du centre sont à la hauteur du moment historique que nous traversons. S’ils échouent, l’extrême-droite reprendra des forces et 2027 sera un nouveau cauchemar.

Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

La Grande Conversation