La protection des données financières des assurés : enjeu de souveraineté pour notre industrie européenne et de solidarité entre citoyens protégés

La protection des données financières des assurés : enjeu de souveraineté pour notre industrie européenne et de solidarité entre citoyens protégés
Publié le 7 juin 2024
Le modèle prôné aujourd’hui par la Commission Européenne autour du partage des données financières des citoyens pour "créer de la valeur" (FiDA - Financial Data Access) , sans réflexion sur les différences entre la banque et l’assurance, menace à la fois la souveraineté de l’Europe et la solidarité au cœur de la mutualisation des risques en matière d’assurance, plaide ici le Directeur général d’Aéma Groupe, Adrien Couret.
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Depuis 2020, le monde est témoin d’une interconnexion sans précédent des défis sanitaires, économiques et écologiques. Pour faire face, comme l’a rappelé Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, les acteurs de la finance européenne jouent un rôle stratégique. Les assureurs sont des professionnels de la protection, de la gestion financière, de l’épargne et de la solidarité. Par leurs investissements de long terme, ils participent activement au financement de la croissance économique, et portent une responsabilité accrue dans cette phase de transition écologique et numérique qui nécessite des investissements publics et privés massifs.

Cette responsabilité sociale est encore davantage inscrite au cœur de l’ADN des assureurs mutualistes. Or, les propositions de la Commission en matière de « finance ouverte » viennent heurter ces réalités entrepreneuriales. Derrière un concept marketing se cache finalement un risque pour les intérêts des assurés, réduits à de simples consommateurs de produits d’assurance indifférenciés.

Les risques de l’ouverture des données financières sans conscience

Vouloir transférer le cadre de l’Open Banking à l’assurance, c’est méconnaître la singularité et la complexité de l’assurance dans le monde des services financiers. C’est pourquoi envisager d’étendre cette ouverture à l’assurance, avec le Financial Data Access (FiDA), pose des défis majeurs qui pourraient nuire aux intérêts des assurés.

Bien-pensant, le législateur européen cherche à aider les consommateurs à comparer les contrats. Mais la réalité est que chaque contrat d’assurance est unique pour répondre à des besoins spécifiques. Et la mutualisation est un principe fondamental de l’assurance qui la différencie des produits financiers.

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Les garanties, y compris lorsqu’elles portent le même titre, peuvent varier considérablement d’un fournisseur à l’autre. Une simplification excessive, comme un tableau de bord synthétique, pourrait induire le consommateur en erreur, le poussant à se fier uniquement au prix, au détriment de la protection. C’est ici que le rôle des conseillers en assurance devient primordial. Ils peuvent aider à déchiffrer les nuances des contrats et identifier les offres qui répondent le mieux aux besoins des clients.

Les structures des contrats varient considérablement d’un pays à l’autre, rendant une norme européenne potentiellement simpliste et inadéquate. Par exemple, en France, les garanties d’assistance sont intégrées dans les contrats d’assurance automobile, alors qu’en Belgique, elles sont souscrites séparément. De même, la manière dont les garanties telles que la protection juridique ou la protection de la personne sont incluses ou isolées varie d’un fournisseur à l’autre. L’élaboration d’une norme européenne conduira inévitablement à des simplifications excessives, ce qui risque de nuire à la bonne compréhension de l’étendue des garanties offertes.

Plus préoccupant encore, les données d’assurance, hautement sensibles, pourraient être exploitées de manière malveillante si elles tombaient entre de mauvaises mains. Ainsi, une information liée à la mobilité pourrait donner des indications à des acteurs peu scrupuleux sur des données de santé sans que le consommateur en soit informé.

La conséquence de ce dispositif serait finalement la démutualisation. Certains acteurs, en quête de maximisation de leurs profits, pourraient être tentés de segmenter leurs offres pour cibler uniquement les « bons risques ». Cette approche pourrait non seulement déstabiliser le marché de l’assurance, mais aussi augmenter le nombre de personnes qui se retrouveraient sans couverture adéquate, exacerbant ainsi les situations non assurables.

La mise en œuvre du dispositif FiDA ouvre la porte à la sélection des risques : par exemple, l’adresse de l’assuré ou le numéro d’immatriculation peuvent être facilement utilisées pour exclure les risques aggravés, tels que les maisons en zone inondable ou les véhicules à haut risque de vol. En ce qui concerne la sécurité des données, et alors que la directive DORA appelle à renforcer la résilience des assureurs et donc à réduire la surface d’exposition aux cyberattaques, le tableau de bord va, au contraire, augmenter la surface d’exposition aux attaques externes et les risques correspondants. Il paraît difficile de s’assurer que le consommateur donne un consentement éclairé à cette ouverture sans restriction visant à le protéger de toute forme de prédation. Et plus difficile encore de garantir que les données restent entre de bonnes mains.

Du fait de notre modèle mutualiste, nos clients (sociétaires / adhérents) sont les administrateurs de nos conseils d’administration. Nous sommes de fait très bien placés pour comprendre les besoins et défendre les consommateurs. Quel modèle de société voulons-nous ? Celui d’une culture de l’assurance individuelle ou celle d’un contrat social basé sur la mutualisation des risques ? Comment faire face aux enjeux communs de la dépendance et des risques climatiques, dans un système où seul le paramètre coût devient un facteur de choix ?

La souveraineté des données, enjeu géopolitique

La protection des données dépasse le simple cadre économique européen, elle a des conséquences géopolitiques. Il est impératif de protéger nos données contre les lois extraterritoriales et d’éviter leurs exfiltrations vers des puissances étrangères.

A ce jour, il n’existe pas encore de cloud européen pleinement opérationnel, et la question demeure : où iront les données des assurés si leur partage automatique se concrétise ? Qui en tirera profit et dans quel but ? Armés de capacités de traitement de données avancées, les big techs pourront proposer des produits d’assurance moins chers en utilisant des modèles hyper démutualisés. Cela perturbera le marché de l’assurance et compromettra le principe fondamental de mutualisation des risques. Tout comme l’argent des assurés est utilisé dans leur intérêt, leurs données devraient être traitées avec la même prudence et le même souci de leur bénéfice exclusif.

Aujourd’hui, 68% des Français s’inquiètent de ne pas savoir réellement qui a accès à leurs informations personnelles et comment elles sont utilisées (Digital Frontier 4.0 VMWare). Malheureusement, nous n’avons aucune garantie quant à l’usage qui peut en être fait par des puissances étrangères ou des géants de la tech. Sous prétexte de simplifier la vie du consommateur, nous l’exposons sans pour autant lui apporter d’élément de réassurance.

Vers une assurance équilibrée : protéger les données tout en innovant pour tous

Protéger les données tout en innovant pour le bien-être des assurés est un défi majeur. Les assureurs, prêts à embrasser le changement, insistent sur la nécessité de préserver la proximité et l’inclusion. Œuvrons ensemble pour une assurance qui protège véritablement chaque citoyen.

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Adrien Couret