Loi AGEC et emballages ménagers : l’illustration du passage à l’échelle du réemploi

Loi AGEC et emballages ménagers : l’illustration du passage à l’échelle du réemploi
Publié le 4 février 2025
Adoptée le 10 février 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et pour une économie circulaire, dite « loi AGEC », a entendu accélérer la transformation des modèles de production et de consommation afin de réduire les déchets, en particulier les déchets d’emballages. Ses objectifs ont été entendus par les acteurs et ont placé la France en fer de lance des ambitions en matière de prévention des déchets en Europe et dans le monde. Pourtant, alors que nous sommes à mi-chemin entre l’adoption de la loi et les premières échéances réglementaires, dans quelle mesure celle-ci a-t-elle permis de mettre les acteurs sur la voie de leur réalisation ? Comment producteurs et consommateurs sont-ils incités et équipés dans le changement de modèle attendu ? Quels outils ont été mobilisés et restent à construire pour engager l’ensemble des secteurs marchands dans une logique d’économie circulaire dessinée par la loi ?
Des objectifs et des financements suffisent-ils à transformer les comportements ?

Le développement du réemploi des emballages de grande consommation ou emballages « ménagers » constitue un cas particulièrement illustratif pour explorer les enjeux liés à la mise en œuvre de cette première loi de référence, à savoir l’élaboration de modèles d’économie circulaire compétitifs et attractifs, synonymes d’une transformation durable. Pour ce faire, il sera indispensable de s’appuyer sur l’incitation des consommateurs, les capacités opérationnelles des entreprises, qu’elles peuvent mutualiser à travers leurs éco-organismes, tout en les protégeant d’une perte de compétitivité à travers une harmonisation des règles à l’échelle de l’Union Européenne.

Le virage vers la logique « 3R : réduction, réemploi et recyclage », une orientation posée par la loi

Aux yeux de l’écosystème de l’économie circulaire, la loi AGEC représente indiscutablement un pivot et une orientation ambitieuse vers la transformation des modèles économiques dans un environnement concurrentiel. Ce défi se décline à travers la (ré)affirmation d’une logique de prévention et de réduction des déchets, jusqu’alors timidement présente dans la loi.

Pour ce faire, la loi traduit cette ambition par trois types de mesures :

  • Des interdictions, issues pour partie de la directive SUP1 adoptée par l’Union Européenne en 2019, mais pas seulement : on peut citer la fin de la distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public [mp1] (ERP) en 2021 ou de la vaisselle jetable dans le secteur de la restauration rapide ;
  • Des objectifs particulièrement ambitieux. En matière de réemploi, il s’agit d’atteindre 10% d’emballages réemployés en 2027, là où ce mode de consommation était marginal en 20202. Ces objectifs imposent aux acteurs d’orienter très rapidement leurs modèles et leurs pratiques vers ces objectifs.
  • Des outils principalement financiers : pour atteindre ces objectifs, la loi a prioritairement prévu des moyens financiers, étroitement liés à l’élargissement des filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Ainsi, la loi AGEC prévoit que 5% des contributions financières perçus par les éco-organismes de la filière REP des emballages ménagers et papiers graphiques soit consacrées au réemploi, soit une enveloppe de plus de 50 millions d’euros par an allouée par une mécanique d’appels à projet.

Bâtir des offres compétitives et attractives pour transformer effectivement les pratiques

L’exposé des motifs de la loi AGEC est clair quant aux acteurs visés par celle-ci : « Nos concitoyens se disent prêts à « changer de modèle » dès lors que la répartition des efforts sera équitable. Le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire répond à ces attentes en proposant un équilibre entre la responsabilité des entreprises par l’élargissement du périmètre du principe pollueur-payeur et une meilleure information des consommateurs […]»

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Pourtant, si elle cible les changements à la fois des modes de production et des comportements des consommateurs, la loi doit prendre en compte deux points essentiels pour résolument les engager.

Tout d’abord, il s’agit de permettre aux producteurs de se saisir des objectifs qui leurs sont imposés, pour qu’ils puissent planifier et organiser leurs actions dans un temps compatible avec l’ampleur des changements envisagés. Or, si le réemploi était cantonné en 2020 à des boucles locales et des enseignes de distribution spécialisées, l’atteinte de l’objectif de 10% d’emballages réemployés d’ici 2027 suppose la généralisation de ce modèle. Cela implique des transformations importantes pour les metteurs en marché de produits de grande consommation, telles que le changement des lignes de production, des modes de distribution et l’adoption de standards d’emballages, mais aussi la construction d’une offre attractive pour les consommateurs et la mise en place de boucles de réemploi performantes et sécurisées avec des acteurs du lavage matures, le tout dans un contexte de pression sur les prix qui peut limiter les marges de manœuvre.

La loi ne peut ainsi ignorer l’enjeu de son exécution particulièrement dans un contexte de marché intérieur qui rend aussi incontournable l’harmonisation des règles au niveau européen3, sous peine de dégradation de la compétitivité des entreprises.

Plus crucial encore, le comportement du consommateur n’a été envisagé que sous le prisme de son information. Or, l’atteinte des objectifs fixés n’implique pas seulement l’adoption de nouveaux « écogestes » mais des changements de pratiques qui modifient les modes de vie. Pour le réemploi, il s’agit par exemple d’adapter ses déplacements quotidiens (trajets, capacités, temps et moyens de transport) pour retourner les emballages réemployables. La réception par le consommateur des évolutions de modèles n’est pas encore acquise. Dans un contexte inflationniste, rien ne garantit que les consommateurs aient la capacité et/ou la volonté de changer leurs déplacements ou de dépenser plus pour un produit dont ils seraient informés (sans autre incitation) qu’il a un impact limité sur l’environnement.

L’enjeu du prix et de la compétitivité économique du réemploi face à l’usage unique et donc in fine, celle du coût de la transition pour le producteur et pour les consommateurs s’est imposée, dès le démarrage des travaux menés par les parties prenantes en vue de l’industrialisation du réemploi en France.

Par conséquent, cinq ans après l’adoption de la loi AGEC, les parties prenantes relèvent quasiment unanimement l’enjeu de son exécution. Le taux de réemploi, dans un contexte de difficulté d’accès à la donnée, demeure faible et les tendances de stagnation des quantités d’emballages, peuvent faire craindre une absence d’adaptation effective des modes de production et de consommation vers une atteinte des objectifs fixés pour 2030.

Les solutions de la REP pour engager les acteurs dans de nouvelles filières d’économie circulaire

Identifiées comme un outil central pour financer la réduction et le réemploi par la loi AGEC, les filières à responsabilité élargie du producteur (REP), qui sont des dispositifs visant à faire contribuer financièrement les producteurs, importateurs et distributeurs de produits à la gestion des déchets qui en proviennent, ont vu leur périmètre de responsabilité – et donc de contribution – s’étendre à l’ensemble du cycle de vie, notamment s’agissant des emballages ménagers.  

Ainsi, la loi AGEC structure une intervention des filières REP – et des éco-organismes– prioritairement financière : l’allocation annuelle de 5% des contributions reçues au développement de solutions de réemploi ou encore le soutien de campagnes de sensibilisation sur cette thématique. 

Or, si la REP est nécessaire à la pérennisation de fonds dédiés à la prévention et à la gestion des déchets, elle est surtout un outil de mutualisation des coûts et des processus ainsi que de mise en œuvre de projets collectifs de grande ampleur au service de la réduction de l’impact environnemental des emballages.

C’est cette plus-value que pourront apporter les éco-organismes pour développer le réemploi des emballages et atteindre les objectifs de prévention ambitieux fixés par la loi AGEC. Si les « 5% » (des éco-contributions perçues) seront utiles pour financer des projets d’innovation et stimuler l’offre de réemploi auprès des producteurs, il est nécessaire de dépasser une vision uniquement financière, projet par projet, pour proposer un programme transformateur capable de faire passer le réemploi à l’échelle. En effet, utiliser la REP comme un seul outil de subventionnement priverait ce modèle de sa raison d’être : la responsabilisation des producteurs, et de ses avantages : la mutualisation des moyens et la coordination des parties prenantes.

C’est cette vision qui a mené la filière REP, à travers l’éco-organisme Citeo, à lancer en 2023 une démarche volontaire, intitulée « Reuse », visant à mettre en place un dispositif national mutualisé et optimisé de réemploi pour les produits alimentaires vendus en grande surface4. [mp7] Ce projet s’appuyait sur le développement de gammes standards d’emballages réemployables mis à disposition par Citeo conformément à ce que prévoyait la loi AGEC. Construit sous l’impulsion d’entreprises agroalimentaires, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes – opérateurs, industriels, distributeurs, associations, collectivités -, ce dispositif doit rendre le conditionnement dans des emballages réemployables compétitif et attractif vis-à-vis de l’usage unique. A travers un projet orienté sur la performance environnementale et économique, tout en s’appuyant sur un tissu national d’acteurs du réemploi, la REP est ainsi au service d’une économie circulaire, axée sur la réduction de l’usage unique, tout en prenant en compte les exigences de prix/coût des consommateurs et des producteurs.

Par ce dispositif, Citeo complètera ainsi les moyens prévus par la loi avec des outils opérationnels, incarnés par la mise en place d’une consigne pour réemploi des emballages. En 2025, le projet sera lancé dans quatre régions françaises – Pays de la Loire, Bretagne, Normandie et Hauts-de-France –, à travers la mise en marché de 30 millions d’emballages ménagers, avec des questions qui demeurent en suspens : au cœur de sa réussite figure en effet l’appropriation par les habitants du nouveau système.

L’importance de définir collectivement les leviers éprouvés d’une économie circulaire

Les acteurs de la REP, portés par les ambitions législatives, ont ouvert la perspective d’une généralisation du réemploi des emballages, cinq ans après l’adoption de la loi AGEC.

Toutefois, au cours de cette même période, d’autres pans de notre secteur semblent avoir atteint un plafond de verre malgré la trajectoire collective confiée par la loi. Ce constat a été soutenu par des publications de référence en 2024 : le rapport d’évaluation de la loi AGEC par l’Assemblée nationale ou encore de la mission interministérielle (IGF, CGE et IGEDD)  relative à la performance et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur5.  

A titre d’exemple, l’amélioration des taux de recyclage des emballages, aujourd’hui éloignés des objectifs européens pour certains matériaux (plastique, aluminium), implique d’augmenter drastiquement leur collecte. Pour autant, les éco-organismes, et à travers eux, les entreprises qui leur ont confié leur responsabilité, ne sont aujourd’hui pas en mesure de mobiliser les leviers essentiels que sont par exemple la tarification incitative ou la consigne.

Cinq ans après la publication de ce texte de référence pour notre écosystème, il est désormais nécessaire que les parties prenantes de la filière, en lien avec les pouvoirs publics, s’accordent sur les outils opérationnels de nature à permettre l’avènement d’une économie 100% circulaire. 

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Jean Hornain