Elections des chambres d’agriculture 2025 : un scrutin majeur pour l’agriculture dans un contexte tendu

Elections des chambres d’agriculture 2025 : un scrutin majeur pour l’agriculture dans un contexte tendu
Publié le 23 janvier 2025
En 2025, les chambres d’agriculture seront renouvelées pour six ans. La campagne électorale s’achève le 31 janvier 2025. Ces élections dépassent largement le cadre institutionnel et touchent à l’avenir de l’agriculture française, notamment l’accompagnement des agriculteurs dans les transitions écologique et démographique. Les résultats du vote pourraient redéfinir les équilibres entre syndicats et, par conséquent, les orientations stratégiques des politiques agricoles. La Grande Conversation décrypte les modalités de ce scrutin, les questions essentielles qu’il soulève et ses éventuelles limites.

En fin d’année 2024, le secteur agricole était à nouveau en effervescence. Les mouvements d’agriculteurs se sont multipliés, alimentés par des difficultés structurelles non résolues, des aléas climatiques et sanitaires et par l’incapacité de l’exécutif à mettre en œuvre les solutions annoncées en mars dernier. La situation budgétaire compliquait encore les choses : 400 millions d’euros étaient promis aux agriculteurs dans le budget Barnier, finalement censuré. Par ailleurs, la récente finalisation de l’accord commercial avec le Mercosur par Ursula von der Leyen, perçue comme une menace directe pour les producteurs français, est venue aggraver la situation et aiguiser les mécontentements.

Cette agitation intervient à un moment clé : la campagne pour les élections professionnelles agricoles qui a démarré officiellement début janvier, un rendez-vous stratégique qui n’a lieu que tous les six ans. Ces élections revêtent une importance particulière car elles déterminent non seulement la composition des instances représentatives agricoles mais aussi les orientations budgétaires et stratégiques du secteur pour les années à venir. La FNSEA, syndicat historiquement dominant, qui gouverne actuellement 95% des chambres d’agriculture grâce à son alliance avec les Jeunes Agriculteurs, fait face à une contestation grandissante. Un affaiblissement du soutien à la FNSEA parmi les exploitants ouvrirait la voie à un rééquilibrage du paysage syndical. La Coordination rurale, forte de son rôle dans les récentes mobilisations, gagne en visibilité et ambitionne de s’imposer comme une alternative sérieuse. La Confédération Paysanne fait également entendre sa voix, notamment sur la question des revenus.

Les rapports de force évoluent, et cette compétition électorale pourrait redessiner les équilibres internes du monde agricole. Les enjeux dépassent toutefois largement le cadre syndical. Ces élections auront un impact direct sur les relations entre les agriculteurs, les pouvoirs publics et les acteurs économiques, dans un contexte où la transition écologique, la gestion des ressources en eau, les arbitrages budgétaires et les enjeux de transmission et d’installation sont plus cruciaux que jamais. Le calendrier est donc loin d’être anodin, et les jours à venir s’annoncent déterminants pour l’ensemble des parties.

Introduction

Ces dernières années, les crises s’enchaînent. Si les revendications sont multiples, elles traduisent cependant des préoccupations persistantes : la faiblesse des revenus, la pression de la concurrence internationale, la complexité administrative, les crises sanitaires, notamment la fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie hémorragique épizootique (MHE). En arrière-plan, le réchauffement climatique vient aggraver cette situation, avec des baisses de rendements qui pénalisent directement la trésorerie des exploitations agricoles.

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Dans ce contexte, la représentation des agriculteurs auprès des pouvoirs publics et des acteurs économiques revêt une importance cruciale. La gouvernance des chambres d’agriculture, qui jouent un rôle déterminant dans le renouvellement, la structuration, le soutien et le développement du secteur agricole est un élément clé. Ce temps fort de la vie démocratique agricole sera suivi des élections des délégués et administrateurs de caisses de la Mutualité Sociale Agricole en mai.

Actuellement, trois syndicats principaux se partagent les sièges dans ces institutions, chacun défendant des visions différentes de l’agriculture. Avec 55% des voix lors des élections 2019, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), alliée avec les Jeunes Agriculteurs (JA), reste largement majoritaire. La Coordination rurale, avec 21% des voix (élections 2019) a gagné en influence, notamment dans les territoires ruraux en crise. Enfin, la Confédération paysanne a remporté 20% des voix en 2019.

En 2025, les chambres d’agriculture seront renouvelées pour six ans. La campagne électorale s’achève le 31 janvier 2025. Ces élections professionnelles dépassent largement le cadre institutionnel et touchent à l’avenir de l’agriculture française, notamment l’accompagnement des agriculteurs dans les transitions environnementales et démographiques. Les résultats du scrutin pourraient redéfinir les équilibres entre syndicats et, par conséquent, les orientations stratégiques des politiques agricoles. La Grande Conversation décrypte les modalités de ce scrutin, les questions essentielles qu’il soulève et ses éventuelles limites. 

1. Quelques rappels sur les missions des chambres d’agriculture

Les chambres d’agriculture sont des établissements publics à caractère administratif créés en 1924 pour représenter les intérêts agricoles auprès des pouvoirs publics. Jusqu’en 1983, le ministère de l’agriculture n’autorisait aucun syndicat dit « minoritaire » à se présenter1. Les syndicats autorisés étaient uniquement les organisations affiliées à la FNSEA. Ce n’est qu’à partir de 1983 que les élections furent ouvertes au pluralisme syndical et que d’autres syndicats agricoles purent concourir, introduisant une diversité relative dans la gouvernance des chambres d’agriculture.

Ces établissements bénéficient de nombreuses délégations de pouvoirs publics dans des domaines clés pour la régulation et le développement du secteur agricole (gestion des dossiers de création ou de cessation d’activité agricole, coordination de l’ensemble des actions liées à l’installation, promotion de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires…). 

Avec 8 330 collaborateurs, dont une forte majorité de conseillers agricoles et un budget annuel d’environ 800 millions d’euros, les chambres constituent le premier réseau de conseil agricole. Cela s’est accentué depuis quelques années suite à l’obligation de séparer des fonctions de conseil et de vente de produits phytosanitaires2. Les chambres d’agriculture, dont une des missions principales est l’accompagnement des agriculteurs, se sont naturellement tournées vers l’activité de conseil, tandis que la majorité des coopératives agricoles ont opté pour l’activité de distribution. Selon un rapport parlementaire publié en 2023,3 le nombre de conseils stratégiques phytosanitaires (CSP) délivrés par les chambres augmente fortement depuis 2021 (398 conseils en 2021, 3 738 conseils en 2022, 5 144 conseils en 2023).

Les chambres jouent donc un rôle central dans les grandes transitions du secteur, qu’il s’agisse de l’adaptation au changement climatique, de la transition écologique ou du renouvellement des générations. Ce sont à la fois des interlocuteurs des pouvoirs publics et des relais pour la mise en œuvre des politiques agricoles. Leurs missions sont nombreuses et variées :

  • Représenter l’ensemble des agents économiques de l’agriculture : exploitants agricoles mais aussi propriétaires, salariés et organisations agricoles telles que les mutualités, coopératives, crédits et syndicats à vocation générale. Cette mission est essentielle alors que les profils des agriculteurs et les modes d’organisation se diversifient de plus en plus et que le salariat se développe4.
  • Accompagner les exploitants agricoles dans la phase d’amorçage et dans leur développement. Les chambres animent des points d’accueil et d’installation et suivi post-installation. Elles sont souvent les interlocutrices des agriculteurs pour toucher les aides de la PAC ou lorsqu’ils recherchent un conseil juridique ou qu’ils souhaitent obtenir des indemnisations.

Dans un contexte où le renouvellement générationnel en agriculture5 est un sujet de préoccupation majeur avec le départ à la retraite, d’ici 2030, de la moitié des agriculteurs, les chambres jouent un rôle prépondérant. Elles seront au cœur de la gouvernance et du pilotage du futur dispositif « France Service Agriculture ». Ces structures, intégrées aux chambres d’agriculture existantes, seront des guichets uniques où les jeunes agriculteurs pourront trouver des informations et des conseils. Ces structures devront refléter la pluralité des modèles agricoles et accompagner au mieux les candidats dont les parcours sont de plus en plus divers. Elles auront également pour mission de réaliser un diagnostic des fermes à vendre, permettant ainsi aux jeunes agriculteurs d’identifier les opportunités d’installation.6

  • Contribuer au développement durable des territoires et des entreprises agricoles.  Cette nouvelle mission leur a été attribuée avec la loi d’avenir pour l’agriculture (2014). Les chambres constituent ainsi, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport annuel7, “un relais naturel de l’Etat pour mettre en œuvre sa politique de développement agricole, désormais fondée sur la triple performance économique, sociale et environnementale”. Elles peuvent également être saisies par les collectivités territoriales sur une problématique d’aménagement du territoire.

Le réseau des chambres d’agriculture repose sur une organisation structurée autour de trois niveaux : une structure nationale, treize chambres régionales et quatre-vingt-huit chambres départementales ou interdépartementales. Les élections professionnelles se déroulent en premier lieu à l’échelon départemental. Les chambres départementales sont composées de trente-trois membres élus au suffrage direct et repartis dans dix collèges représentant l’ensemble des acteurs agricoles. Ces 33 élus élisent à leur tour un bureau de douze membres et un président.

Composé de 12 élus du collège des exploitants agricoles et de 8 membres associés à voix consultative, le bureau se réunit tous les mois. Ses travaux, rarement rendus publics, incluent parfois des agents ou élus extérieurs. Pourtant son rôle est prépondérant :  il décide de l’orientation et des priorités de la Chambre, gère les collaborations techniques avec les agents salariés des chambres, définit les sujets discutés en session plénière. Il constitue ainsi l’instance clé pour définir les orientations politiques, contrairement aux sessions plénières qui interviennent peu sur le fond des dossiers.  

Si presque8 toutes les composantes du monde agricole sont représentées au sein des chambres d’agriculture, à travers des dix collèges électoraux, les exploitants agricoles du collège 1, avec 18 sièges sur 33, dominent largement ces instances.  

Malgré un corps électoral de 2,26 millions d’électeurs, le taux de participation ne cesse de diminuer, passant de 37 % en 2013 à 28 % en 2019. Le taux de participation des représentants des exploitants agricoles diminue également avec 46%en 2019 contre 55% en 2013.

2. Le financement

Le réseau des Chambres d’agriculture dispose d’un budget global de 800 millions d’euros par an. 

67% ce budget provient de recettes de finances publiques9  :

– 42 % de ce budget (336 millions) est constitué de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB). Cette taxe est prélevée par les chambres départementales qui décident de son montant dans les limites posées par les lois de finances (le plafond de cette taxe est globalement stable depuis 2015).

– 25% de ce budget (190 millions) est composé de diverses subventions publiques, dont 38,5% viennent de l’Europe, 34% de l’État et 17% des collectivités territoriales (avec une régionalisation croissante de ces dernières).

– Le reste du budget (33% soit 251 M€) provient des revenus liés à la vente de produits commerciaux et de diverses prestations telles l’accompagnement « stratégique » aux collectivités. Un pourcentage en hausse depuis quinze ans mais qui s’effectue parfois, selon l’Assemblée des communautés de France, dans une situation de quasi-monopole, les chambres étant soit le seul candidat, soit le seul de facto capable de remporter l’appel d’offres.10

Il est à noter que si ces financements sont principalement perçus au niveau local, ils servent à financer l’ensemble du réseau via des contributions internes spécifiques. La principale source de financement de la tête de réseau est ainsi une part de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti perçue par les chambres départementales11.

3. Les acteurs : vers un changement des rapports de force ?

La FNSEA

Avec 31 associations spécialisées (céréales, lait, viandes, fruits et légumes, etc.) et plus de 212 000 adhérents, la FNSEA est le seul syndicat agricole à être également considéré comme une organisation patronale. Il est présidé depuis 2023 par Arnaud Rousseau, céréalier et président du conseil d’administration du groupe Avril, un important groupe français agro-industriel spécialisé dans l’alimentation animale et la « chimie verte ». La FNSEA conserve des liens étroits avec les pouvoirs publics et un rôle de premier plan dans les organismes « parapublics ». Elle se présente comme « l’interlocutrice légitime des pouvoirs publics », un statut qu’elle cultive depuis des décennies.

La FNSEA contrôle aujourd’hui la quasi-totalité des chambres d’agriculture. Le modèle agricole promu par la FNSEA prétend concilier compétitivité économique, durabilité et souveraineté alimentaire. Le syndicat encourage l’innovation et la modernisation des exploitations pour les rendre plus rentables et compétitives et met l’accent sur une agriculture productiviste capable de répondre aux besoins du marché intérieur et de se positionner sur les marchés internationaux. Elle encourage l’optimisation des coûts de production, la mécanisation et l’adoption de nouvelles technologies (agriculture de précision, numérique, etc.). L’alliance entre la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) est un des piliers de sa puissance. Ce système lui permet de conserver une position de force dans ses relations avec l’exécutif, dans une forme de « cogestion » des politiques agricoles. Ce réseau d’influence, combiné à son nombre d’adhérents et à son poids historique, confère à la FNSEA un rôle clé dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques agricoles françaises. En 2019, la FNSEA a récolté 55 % des voix dans une liste commune avec les Jeunes Agriculteurs. Compte tenu du mode de scrutin (voir infra), ces résultats lui assurent une quasi-hégémonie.

Les Jeunes Agriculteurs

Les Jeunes Agriculteurs (JA) est un syndicat agricole représentant les intérêts des agriculteurs de moins de 38 ans. Constitué après la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion de la jeunesse agricole catholique (JAC), le Cercle national des jeunes agriculteurs se rattachait organiquement à la FNSEA, tout en demeurant juridiquement autonome. Il est devenu le Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) en 1961 puis les Jeunes Agriculteurs en 2002. Les JA ont aujourd’hui plusieurs missions : défendre les intérêts des jeunes agriculteurs et ceux qui sont en phase d’installation, proposer des idées novatrices pour l’avenir, former les futurs responsables syndicaux, communiquer sur le métier d’agriculteur et animer le milieu rural. Ils font très souvent liste commune avec la FNSEA, avec qui ils partagent la plupart des orientations politiques. 

La Coordination rurale

La Coordination rurale (CR) est née en 1995 à la suite d’une association créée par trois agriculteurs du Gers, en réaction à la réforme de la PAC en 1992. Elle a obtenu 21 % des suffrages en 2019. Si le syndicat revendique son indépendance vis-à-vis des partis, la Coordination Rurale est généralement située à droite, voire à l’extrême droite12. La CR promeut un modèle agricole familial indépendant, centré sur l’autonomie et une meilleure protection contre la concurrence étrangère, la défense des revenus des agriculteurs et une agriculture ancrée dans les territoires. Elle s’oppose aux accords de libre-échange qu’elle considère comme une menace pour les agriculteurs français. Elle défend la préférence locale et une agriculture protégée des distorsions de concurrence internationales. La CR est majoritaire dans le Lot-et-Garonne13, en Vienne, en Haute-Vienne.

La Confédération paysanne

La Confédération paysanne (CP) a obtenu 20 % des voix aux élections de 2019, derrière l’union FNSEA et JA et la Coordination rurale et devant le Modef (voir infra). Elle préside la chambre d’agriculture de Mayotte. Créée en 1987 par le rapprochement de deux courants dissidents de la FNSEA, la FNSP (Fédération nationale des syndicats paysans) et la CNSTP (Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans), la Confédération paysanne défend un modèle agricole alternatif au productivisme axé sur la rémunération du travail paysan, la souveraineté alimentaire et la préservation de l’environnement. Elle représente principalement les petites et moyennes exploitations agricoles, souvent familiales.

Le Mouvement de défense et de coordination des exploitations familiales

Le Mouvement de défense et de coordination des exploitations familiales (Modef) est un syndicat agricole minoritaire qui n’a récolté que 1,3 % des suffrages en 2019.

4. Les limites du fonctionnement actuel des chambres d’agriculture

Plusieurs limites structurelles interrogent l’efficacité et la représentativité du réseau des chambres d’agriculture, pourtant central dans le développement du secteur.

Un cadre électoral et financier déséquilibré 

Le mode de scrutin proportionnel à prime majoritaire, utilisé lors de ces élections, pose des problèmes d’équité. Une liste obtenant une majorité relative, même modeste, remporte automatiquement une majorité absolue des sièges. Ainsi la FNSEA, avec 55% des voix, préside 95% des chambres. Cette prime majoritaire impacte également le financement des syndicats agricoles. En effet, 75 % des 14 millions d’euros du fonds alloué à leur financement sont répartis en fonction du nombre de voix et 25 % selon le nombre de sièges. Ce mécanisme amplifie les écarts de financement et affaiblit les syndicats minoritaires, même lorsque leurs résultats électoraux se rapprochent de ceux du syndicat vainqueur.

Les élections professionnelles des chambres d’agriculture, prévues pour janvier 2025, s’inscrivent dans un cadre électoral et financier qui reste inchangé malgré des critiques récurrentes. La Cour des comptes a appelé en 2021 à une « évolution » de la gouvernance des chambres, afin de « favoriser la pluralité syndicale ». Le gouvernement dirigé par Gabriel Attal avait envisagé de revoir cette clé de répartition en donnant plus de poids au nombre d’élus qu’au nombre de voix. Le décret envisagé modifiait deux leviers : la baisse du seuil de représentativité à 5 %, contre 10% aujourd’hui, et la modification de la clé de répartition des financements qui serait de 50 % sur le nombre de voix, et 50 % sur le nombre d’élus. Ce projet a été vivement dénoncé par les syndicats minoritaires : la Coordination Rurale y aurait perdu 300 000 euros par an et la Confédération paysanne, 500 000 euros, selon leurs estimations14

Un déficit de participation et de représentativité 

Alors que les profils des agriculteurs se diversifient et que les revendications se multiplient, ces derniers se sentent pourtant de plus en plus mal représentés au sein de la société. Dans le cadre d’une consultation menée par The Shift Project 15, 87 % des agriculteurs expriment un sentiment de mal-représentation dans le débat public. Parallèlement, la participation électorale aux chambres d’agriculture connaît un déclin préoccupant, atteignant seulement 28,5 % en 2019 pour l’ensemble des collèges électoraux, avec une participation de 46,4 % parmi les chefs d’exploitation. Ce faible taux de participation soulève des interrogations quant à la légitimité et à la représentativité des élus.  En outre, la persistance de collèges électoraux considérés comme obsolètes accentue le manque de diversité dans les processus décisionnels. La Cour des Comptes avait recommandé en 2017 la suppression du collège des anciens exploitants 16, suggérant une ouverture vers une représentation plus large, incluant des acteurs tels que les représentants des industries agroalimentaires, les associations de protection de l’environnement, les défenseurs des consommateurs et les élus locaux.

Une influence démesurée d’un nombre restreint d’agriculteurs

Les syndicats majoritaires, en remportant les chambres d’agriculture, prennent automatiquement le contrôle de nombreuses institutions stratégiques, comme les conseils d’administration des instituts techniques, des interprofessions, ou encore du fonds d’assurance-formation Vivéa. Leur influence est souvent déterminante. Les représentants des membres des bureaux siègent dans de nombreuses commissions décisionnelles notamment les commissions départementales d’orientation de l’agriculture (CDOA) qui donnent leurs avis sur les projets d’installations, les aides DJA, les demandes d’agrandissement, mais également dans les comités techniques SAFER pour les ventes de terres agricoles ou encore dans les tribunaux des baux ruraux qui tranchent les litiges en matière de fermage. Alors que ces enjeux sont essentiels, les autres organisations syndicales sont souvent exclues des discussions et des décisions prises en bureau.

Une gouvernance opaque et peu représentative des équilibres du monde agricole.

Les bureaux sont les véritables instances décisionnaires des chambres d’agriculture. Pourtant, leur fonctionnement reste marqué par une faible transparence : les délibérations de ces organes sont rarement rendues publiques et la publication des listes de personnalités associées au bureau et de leurs qualifications reste rare sur les sites internet des chambres d’agriculture. Cette absence de transparence affaiblit la légitimité et la confiance dans ces institutions et contribue à entretenir une opacité entre les rôles des syndicats agricoles et des chambres d’agriculture.

De plus, les bureaux, qui restent largement dominés par les élus du collège des exploitants agricoles, reflètent insuffisamment la diversité syndicale et souffrent d’un déficit marqué en matière de parité.

Malgré les avancées introduites par l’obligation de présenter, sur les listes électorales, au moins un candidat de chaque genre par tranche de trois candidats, la représentation des femmes dans les instances de gouvernance demeure très minoritaire. Actuellement, seules 8 % des chambres d’agriculture sont dirigées par des femmes, et les bureaux se composent encore à 83 % d’hommes. Ces chiffres traduisent la persistance d’une gouvernance peu inclusive éloignée des enjeux d’égalité de genres.

Des irrégularités persistantes dans le fonctionnement des chambres d’agriculture

Malgré des alertes régulières de la Cour des comptes et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), les dysfonctionnements au sein des chambres d’agriculture demeurent non résolus. Ces instances ont notamment souligné l’absence d’outils d’évaluation efficaces, rendant difficile le suivi et l’analyse des actions entreprises. En dépit des obligations introduites par la loi du 10 août 2018, qui impose aux chambres régionales d’agriculture de suivre la mise en œuvre des politiques publiques, aucun dispositif global d’évaluation n’a été instauré à ce jour. En mars 2019, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) a adopté une démarche visant à associer la certification des services à une évaluation de performance. Cependant, cette initiative, qui reposait sur un référentiel généralisé prévu pour 2021, reste limitée dans sa portée. En pratique, seules quelques actions17 font l’objet d’une véritable évaluation et la normalisation des indicateurs de performance, essentielle pour garantir la cohérence et la comparabilité des évaluations, reste inachevée. Un contrat d’objectifs18, signé entre le ministère de l’Agriculture et l’APCA en novembre 2021 précisait les ambitions et les objectifs partagés entre l’Etat et les présidents des établissements du réseau des Chambres d’agriculture. Il constituait un document de référence pour atteindre les objectifs de la Politique agricole commune (PAC), du Pacte vert, de la Stratégie de la ferme à la fourchette et de la stratégie Biodiversité de l’Union Européenne, et les objectifs de l’État, en matière d’accompagnement du renforcement de la compétitivité de l’agriculture française et de sa transition agroécologique.

Ce contrat incluait une clause de revoyure fixée à 2023, visant à dresser un bilan global de la mise en œuvre du contrat et à apprécier l’action des chambres au regard des objectifs fixés, notamment en évaluant l’atteinte des cibles retenues pour chaque indicateur et le respect, par le réseau, du calendrier des évolutions structurelles prévues dans ledit contrat et rendues possibles par les évolutions du cadre juridique. Cette clause devait permettre de statuer sur la trajectoire de la TATFNB, et devait être accompagnée d’indicateurs de performance et de gestion complémentaires établis sur la base des différents outils développés par le réseau, et des éventuels nouveaux enjeux pour l’agriculture. A ce jour, rien n’a été publié.

Conclusion

Même si les Chambres d’agriculture sont engagées depuis quelques années dans une dynamique de modernisation et de réorganisation, les défis restent nombreux : modernisation des règles électorales, difficultés à mesurer leur efficience, amélioration de la transparence et renforcement de la représentativité. Alors que  30 % des agriculteurs déclarent se sentir proches d’aucune organisation syndicale, ces institutions risquent de voir leur légitimité et leur efficacité encore davantage remises en question, sans une réforme en profondeur.

Une proposition de loi sur la démocratie agricole19 portée par Nicole Le Peih a été déposée en décembre pour permettre aux administrateurs de coopératives agricoles de participer aux bureaux des chambres d’agriculture. Elle est très loin de répondre aux enjeux évoqués dans cette note.

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Suzanne Gorge