Chiffrage des recettes fiscales du programme du Nouveau Front Populaire

Chiffrage des recettes fiscales du programme du Nouveau Front Populaire
Publié le 21 juin 2024
Les économistes Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte et Elise Huillery ont réalisé un chiffrage des recettes fiscales que pourrait générer le programme du Nouveau Front Populaire. La publication de ce document ne vaut pas approbation : nous souhaitons simplement le verser à la discussion en cours sur les programmes des différentes formations en lice dans la campagne pour les élections législatives. La Grande Conversation accueillera avec plaisir les contributions qui souhaiteraient en discuter les résultats, notamment au regard des effets induits par les mesures visées sur le comportement des acteurs économiques, qu’il s’agisse des ménages, des entreprises ou de leurs actionnaires.
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Chiffrage coordonné par les auteurs

Objectif de la note

Ce document présente un chiffrage des recettes fiscales dans le programme du Nouveau Front Populaire (ci-après NFP). Notre choix de nous concentrer sur les recettes – et non les dépenses – se fonde sur deux arguments. Premièrement, le programme donne peu de paramètres associés aux dépenses envisagées donc l’éventail des possibles est très large. Deuxièmement, préciser les dépenses nécessite de connaître au préalable le budget disponible pour maîtriser le déficit budgétaire et l’endettement public. Une connaissance préalable des recettes qui seront prélevées est donc nécessaire. Notre chiffrage ne se base pas sur une estimation précise des réponses comportementales aux nouvelles taxes proposées, et donne de ce fait une estimation approximative des recettes fiscales produites.

Synthèse des résultats

Concernant le volume des recettes fiscales, notre scénario central retient 90 milliards d’euros (Mds €) supplémentaires par an en 2027 en application du programme du NFP (60 Mds € dans la fourchette basse et 120 Mds € en fourchette haute). Par comparaison, la baisse des recettes fiscales depuis 2017 s’élève à 62 Mds € par an. Ainsi, le programme du NFP fait plus que compenser les baisses d’impôts mises en œuvre sous la présidence d’Emmanuel Macron, ce qui permet par conséquent des dépenses budgétaires substantielles pour les investissements d’avenir tels que la transition écologique, la santé et l’éducation. Au contraire, aucun investissement budgétaire n’est envisagé dans les programmes concurrents puisqu’ils proposent soit le maintien de recettes basses (Renaissance), soit une réduction supplémentaire des recettes via la baisse de la TVA pour certains produits (RN).

Concernant la provenance de ces recettes supplémentaires, l’analyse montre clairement qu’elles proviennent d’une part des ménages les plus fortunés, et d’autre part des entreprises polluantes. En particulier, seuls les ménages faisant partie des 10% les plus riches sont concernés par la hausse des prélèvements (voire seuls les 3% les plus riches dans certains scénarios), en particulier les ménages possédant un patrimoine très élevé.

Détail du chiffrage mesure par mesure

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Les mesures sont considérées par ordre d’apparition dans le programme. Elles rapportent environ 90 milliards d’euros (Mds €) supplémentaires par an au terme du mandat dans le scénario central, qui est approximativement la moyenne entre 60 Mds € en fourchette basse et 120 Mds € en fourchette haute. L’écart entre les fourchettes basse et haute s’explique par le paramétrage des réformes et les hypothèses sur leurs effets sur l’économie.

Impôt sur le revenu à 14 tranches et CSG progressive

Dans nos scénarios de chiffrage, cette mesure augmente l’impôt sur le revenu pour 2% à 10 % des plus hauts revenus selon le scénario retenu, et permet de réduire ou de ne pas augmenter l’impôt sur le revenu (CSG comprise) pour 90 à 98% de la population. Le scénario “fourchette basse” correspond à une hausse de l’impôt sur le revenu à partir de 8,000 € de revenu net mensuel pour une personne seule, correspondant approximativement au seuil des 2% les plus aisés. En fourchette haute, le taux d’impôt sur le revenu augmente faiblement (de l’ordre de 1 à 2% du revenu) à partir d’un revenu net supérieur à 4,000 € par mois (ou 9,000 € par mois pour un couple avec deux enfants), seuil correspondant approximativement aux 10% des foyers les plus aisés. Nous considérons des taux marginaux s’échelonnant de 0% pour les plus modestes, jusqu’à 70% au-delà de 400,000 euros nets par an ou 33,000 nets par mois pour une personne seule. Dans tous les scénarios, les classes populaires et moyennes, comprises ici comme les 90% des ménages les moins aisés, ne sont pas concernées par cette mesure ce qui protège le pouvoir d’achat et la consommation de ces ménages. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 2 et 8 Mds €.

Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique et rétablissement de l’exit tax

La proposition consiste en la réintroduction et la modernisation de l’ISF. Le scénario envisagé ici taxe les actifs nets à partir de 5 millions €, avec de nouveaux taux échelonnés de 0.5% à partir de 5 millions et augmentant jusqu’à 3% à partir 1 milliard d’actifs nets. La mesure est combinée avec une réforme de l’exit tax pour rendre redevables les individus délocalisant leur résidence principale dans des pays étrangers afin d’échapper à l’impôt. La France récupère la différence entre l’impôt de la nouvelle résidence fiscale et l’impôt dû en France pendant 10 ans (un mécanisme de surtaxe des actifs polluants est évoqué dans le programme mais non chiffré ici). Les recettes supplémentaires sont estimées entre 15 et 30 Mds €.

Abrogation du prélèvement forfaitaire unique

Cette mesure remet tous les revenus, qu’ils proviennent du travail ou du capital, à égalité devant la taxation. Cette mesure est motivée par le fait qu’il est difficile de justifier une taxation des revenus du capital moins élevée que celle des revenus du travail comme c’est le cas depuis 2017. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 2 et 5 Mds €.

Suppression des niches fiscales 

Le scénario envisagé ici réduit les niches fiscales bénéficiant aux entreprises (comme le Crédit Impôt Recherche) de 20% par an. Les entreprises présentant un plan de transition compatible avec les objectifs de neutralité carbone peuvent continuer de bénéficier d’une partie des exonérations. Nous ajoutons à ce dispositif la suppression progressive des exonérations de cotisations sociales au-dessus de 1,6 fois le SMIC sans conditionnalité. Les exonérations sur les salaires sont progressives avec une forte concentration autour du SMIC. Les exonérations sur les salaires supérieurs à 1,6 fois le SMIC représentent 15 Mds € par an, ce qui constitue donc la recette supplémentaire minimale en fourchette basse. Notre calcul de la fourchette haute se fonde sur des hypothèses concernant l’effet dynamique de la suppression des niches sur la base fiscale et la proportion de la base fiscale avec un plan de transition favorable. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 15 et 31 Mds €.

Réforme de l’impôt sur l’héritage 

L’objectif est de rendre l’imposition des héritages plus progressive en ciblant les plus hauts patrimoines et d’instaurer un héritage maximum. Le scénario envisagé ici ne cible que les 1% les plus riches et permet une baisse de l’impôt sur l’héritage des classes moyennes et populaires via un doublement du seuil au-dessus duquel les transmissions ne sont pas taxées. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 10 et 15 Mds €.

Taxe kilométrique sur les produits importés

Taxe sur les émissions liées au transport des marchandises importées en France depuis les pays hors UE (estimation sur les flux d’imports moyens 2022-2023). L’intervalle de recette est obtenu au cours de la tonne sur le marché européen en borne basse, et au niveau de taxation implicite sur le transport routier domestique en France estimé par le Haut Conseil sur le Climat. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 2 et 5 Mds €.

Instauration d’un protectionnisme écologique et social aux frontières de l’Europe

Dans notre scénario, cette mesure prend la forme d’un impôt sur les sociétés, pour les multinationales, de 25%. Grâce à leurs filiales dans les paradis fiscaux, les sociétés multinationales échappent à l’impôt sur les sociétés contrairement aux entreprises sans filiale à l’étranger. Pourtant, l’Europe et la France sont de grands marchés de consommation pour ces entreprises multinationales. Cette taxe peut être mise en place en France d’abord en instaurant un impôt calculé sur leur chiffre d’affaires et non plus seulement sur leur profit déclaré en France. Cette mesure pourrait ensuite être étendue au niveau européen qui pourrait être entraîné par le cas français. A noter, nous ne chiffrons pas ici une éventuelle hausse du mécanisme carbone aux frontières. Les recettes supplémentaires sont estimées entre 12 et 20 Mds €.

Taxation renforcée des transactions financières

La mesure consiste à aligner le taux actuel de 0,3% sur le taux du Royaume Uni, 0,5% et taxer les transactions infra-journalières. Les données infra-journalières sont désormais enregistrées par l’Autorité des Marchés Financiers. Une mise en œuvre rapide reposerait donc sur une collaboration entre la DGFIP responsable de la collecte de la taxe et l’AMF (la TTF permet de collecter aujourd’hui 1,8 Mds €). Les recettes supplémentaires sont estimées entre 2 et 6 Mds €.

Taxation des superprofits au niveau européen

En étendant la taxation des superprofits européenne à l’ensemble des secteurs d’activité (ce qui semble sous-entendu dans cette mesure du programme du NFP) on peut espérer récolter 15 Mds € de recettes supplémentaires (la taxe actuelle n’a finalement rapporté que 69 millions €, puisqu’elle s’applique uniquement à certaines entreprises énergétiques). La taxe sur les superprofits est dépendante de la conjoncture puisque les superprofits sont définis comme une déviation à la moyenne historique, cette mesure n’est pas intégrée aux recettes globales. Les recettes supplémentaires sont estimées à 15 Mds €. Ces dernières ne sont pas intégrées dans notre total car, étant exceptionnelles par nature, elles ne doivent pas être comptabilisées dans les dépenses structurelles. Le produit de cette taxe pourrait donc être utilisé pour des dépenses exceptionnelles. 

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Lucas Chancel

Anne-Laure Delatte

Elise Huillery